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23 septembre 2008

KiK est la plus grande chaîne de textiles lowcost en Allemagne, avec 2500 succursales en Allemagne, Autriche, Slowénie et en République tchèque. La production se fait entre autres en Chine et en Bangladesh, qui est un des pays les plus pauvres dans le monde. (Pour avoir une idée, le PIB par tête en Allemagne s’élève à 32.708 $, en Bangladesh à 408 $). KiK fait partie du holding Tengelmann, un groupement d’entreprises qui a fait un chiffre d’affaires de 25,7 milliards d’euros en 2006. Le CA de KiK seul s’élève à 1,2 milliard d’euro.

KiK, ce modèle parfait du capitalisme contemporain, n’aime pas les comités d’entreprise. Treize ans après la fondation du groupe, en 2007, les salariés de KiK Autriche arrivent enfin à organiser une élection d’un comité d’entreprise. Le candidat de tête, Andras Fillei, et sa liste sont refusés par une commission d’entreprise proche du groupe. La raison prétextée est une soi-disant illisibilité de trois déclarations de soutien ce qui entraîne la non-validité de la liste. Deux jours après l’ouverture de la liste, Andreas Fillei se fait licencier sans préavis, et sans que la firme donne des raisons pour ce brusque renvoi. (On a quand même une petite idée.) Il est désormais indésirable, et la direction lui interdit l’accès dans toutes les succursales. Les Prud’hommes et le tribunal social à Vienne déclarent le licenciement d’Andreas Fillei pour illégal. KiK est obligé de retirer son interdiction d’accès, et les élections d’un comité d’entreprise ont lieu. Après les élections, les membres élus, ô miracle, n’acceptent pas leur élection ce qui fait que Kik Autriche n’a toujours pas de comité d’entreprise.

Cette introduction donne peut-être une petite idée pourquoi ce géant du textile réussit si bien. Stefan Heinig, son fondateur, a toutes les raisons pour être satisfait, vu le CA et l’expansion du groupe : 2000 succursales seulement en Allemagne, 3500 sont visées. Il y a presque un nouveau magasin par jour qui s’ouvre. Un salarié sur deux est vacataire, avec un salaire parfois au-dessous de 5 euros de l’heure. Dans une interview avec le journal Welt online, Heinig répond à la question si on peut motiver les salariés avec un tel salaire, que leur motivation ne serait pas plus grande s’ils étaient payés 50 centimes de plus. La réponse a le mérite d’être claire.

Stefan Heinig vante la bonne ambiance de travail et la sécurité d’emploi qui doit compenser les salaires si bas. (Sécurité d’emploi si on n’est pas tête de liste pour une élection d’un comité d’entreprise.) Le deuxième syndicat d’Allemagne, Ver.di, défend trois vacataires de chez KiK, et porte plainte au Parquet pour non-paiement du salaire pour les congés payés, et également non-paiement des salaires pendant des congés de maladie[1]. En outre, le syndicat attaque KiK pour « salaire illicite[2] » des vacataires qui se lève au montant vertigineux de 5,20 euros par heure labourée. Le syndicat a gain de cause sur toute la ligne, mais pourtant, cela ne change rien pour les trois vacataires.

L’une d’elles témoigne : « En juin j’ai pris mes vacances de 4 semaines, mais je n’ai reçu le moindre centime de salaire pour cette période. J’ai aussi été malade, et on ne m’a pas payé mes indemnités journalières. »

Cela fait maintenant plusieurs semaines que madame G. attend son salaire et ses indemnités. Deux collègues sont dans un cas similaire : elles n’ont pas obtenu leur salaire pendant leurs vacances, ou seulement une partie infime de ce qui leur est dû, et cela malgré la décision du Tribunal.

Henrike Greven (Syndicat Ver.di) s’exprime: « Pour les deux situations, le congé payé et le congé de maladie, il y a une base juridique valable. L’entreprise KiK n’a pas mis en pratique le jugement du tribunal, elle n’a payé ni les congés payés, ni les indemnités journalières, ni le rappel de salaire qui a été fixé par le tribunal à 8,21 euros. » Ver.di a fait une demande par écrit pour que l’entreprise exécute enfin le jugement. Si KiK s’obstine à ne pas payer, le syndicat à l’intention d’élargir la plainte, qui sera alors traitée par les Prud’hommes du land. La chaîne de textile a fait un recours contre le jugement à Dortmund.

« Les décisions du tribunal du land, instance supérieure du tribunal de Dortmund, seront d’une importance capitale« , dit la dirigeante de Ver.di Henrike Greven. « Si les Prud’hommes du land décident ce qu’est un salaire illicite dans ce land, alors cette décision n’a pas seulement des conséquences pour les 9000 (!!) vacataires chez KiK, mais sur de nombreux domaines économiques. Jusqu’alors il n’existe pas encore une décision des Prud’hommes fédérales ce qu’est un salaire convenable dans ce pays. »

La dirigeante de Ver.di pense, que le cas présent est seulement la pointe émergée de l’iceberg. Pour cette raison aussi le syndicat a porté plainte contre Stefan Heinig. D’autres personnes encore inconnues sont incluses dans la plainte. Si le chef du Holding Tengelmann peut faire partie des accusés, ce sont les investigations du Parquet qui le diront, dit Greven. En tout cas, c’est un fait que Tengelmann profite également des salaires de dumping.

Ça aurait été trop bien, une jurisprudence contre les salaires de misère pour la troisième puissance économique mondiale, mais cela aurait bouleversé le pays entier, heurté les susceptibilités politiques et patronales. Les juges ont décidé de ne pas se décider, l’affaire est classée sans suite. C’est trop politique et dangereux pour la « compétitivité » de l’Allemagne, champion de l’export et un des rares pays européen sans salaire minimum obligatoire. Pour les trois vacataires, la non-décision a pourtant changé des choses au travail : depuis des mois, elles subissent du harcèlement moral de la part de leur employeur. Ursula G. et Martina K. témoignent :

« J’ai travaillé en tant que caissière, et j’ai aussi exécuté des tâches de vendeuse, conseil, ouverture de caisse, ouverture de magasins, tout ce qui fait partie de notre activité, et on m’a retiré de la caisse sans commentaire, et je dois faire des travaux d’emballage ce que je supporte mal, physiquement et moralement. »

« Il fut un temps où nous avons aimé notre travail ici. Avec le changement de direction, l’ambiance de travail a changé. On m’a dit de rentrer chez moi après m’avoir ordonné de venir, ces choses-là, des brimades. etc. »

Alors, Monsieur Heinig, cette ambiance de travail est peut-être plus « en harmonie » avec le salaire horaire de 5,20 € ?

Malgré ces difficultés, les salariées veulent continuer leur travail et se battre pour demander justice, et ceci jusqu’à la dernière instance.

Le travail d’enfant n’est pas exclu

C‘est le titre d’un article du Spiegel à propos des prix imbattables du géant du textile, et c’est un des dirigeants de KiK Allemagne qui le dit lui-même. L’entreprise est fondée en 1994, et c’est en 2006 qu’elle « découvre » le problème. Avec l’aveu offensif, KiK veut se donner une bonne image. Or, l’aveu ne vient peut-être pas volontairement. Le CCC (Clean Clothes Campaign) avait publié une étude sur les conditions de travail au Bangladesh, dans laquelle de nombreuses violations de la charte de travail de KiK sont constatées. Ce rapport parle entre autres d’une absence d’un comité d’entreprise (Il n’aurait pas fallu aller si loin, c’est déjà le cas en Autriche…), d’innombrables heures supplémentaires et de salaires de misère. L’absence de contrat de travail, discrimination des femmes sont à l’ordre du jour. Aucun travailleur à Bangladesh n’a entendu parler d’une charte de travail de KiK, en revanche on est au courant pour les visites de contrôles, car avant leur arrivée les toilettes sont nettoyées, les employés intimidés et les adolescents renvoyés à la maison.

Pourtant, le travail d’enfant est évident quand on sait que la production non seulement se fait dans des pays où le coût salarial est au plus bas, mais en plus on fait appel à des sous-traitants de production. Alors pour contrôler les sous-traitants à Bangladesh….

KiK commencera ses visites (de vitrine ?) de contrôle en mars 2007. (Regardez comme nous sommes humains…)

Sinon, KiK Allemagne sponsorise des grands clubs de football. Pour la saison 2007/2008, c’est VfL Bochum, l’heureux bénéficiaire de 2,5 millions d’euro offerts généreusement par KiK. Il est vrai que cet argent est en de bonnes mains chez les footballeurs; les vacatairs travaillant à 5 euros de l’heure n’en auront pas besoin.

KiK est le sigle pour « Kunde ist König » – le client est roi. De la tête au pied, en Allemagne et en Autriche, le client peut s’habiller pour 30 euros. Qui peut faire mieux ?

Sources : SpiegelWeltVer.diWikipedia


[1] En Allemagne, c’est l’employeur qui prend en charge les indemnités journalières en début d’un arrêt de travail (après une carence de trois jours). En général, les indemnités journalières sont payés pendant les six premières semaines, et si le congé de maladie se prolonge, c’est la caisse de maladie qui prend le relais.
[2] Un salaire est illicite, s’il est inférieur d’un tiers du salaire (conventionnel) habituel. Le salaire conventionnel d’une vendeuse qui a fini son apprentissage s’élève à 12,30 € en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Après la soustraction d’un tiers, le salaire minimal on illicite devrait être au moins 8,21 € dans une entreprise sans convention collective.

2 Responses to “KiK – salaires de misère illicites”

  1. Camille Dawson dit :

    Bonjour,
    Je voulais savoir comment s’appelait l’équivalent du conseil des prud’hommes en Allemagne et connaître éventuellement quelques différences ou points communs avec le système français .

    Merci d’avance.

  2. Stephan M. dit :

    Bonjour,
    l’équivalent du conseil des prud’hommes en Allemagne est le Arbeitsgericht. Traduit cela signifie tribunal du travail. C’est la première instance qui règle les conflits entre le salarié et l’entreprise. Parfois la limite des compétences entre le Arbeitsgericht et les tribunaux du droit civil est problématique.