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(Florian Rötzer pour Telepolis, 14 mai 2008)

Le ministère de l’économie soutient pleinement le “travail civique” pour contraindre des chômeurs à faire un travail régulier. Le ministère de l’économie propage de nouvelles mesures qui devraient obliger des chômeurs à travailler. L’Institut pour l’Avenir du Travail (IZA – Institut für die Zukunft der Arbeit), sur ordre du ministère, a élaboré une étude avec le titre “Mise en pratique de l’approche workfare (1) dans le modèle BMWi pour une activité assurant la subsistance.” Cependant, l’étude semble être très spéculative et peu résistante (aux multiples objections, ndt).

En réduisant ce titre prestigieux à l’essentiel, ce qui en reste n’est que l’obligation des allocataires de Hartz 4 à effectuer un “travail civique ”. Quand on peut recevoir une allocation uniquement sous la condition de travailler, beaucoup de demandeurs d’emploi préféreraient chercher un travail à plein temps, c’est probablement l’idée sous-jacente. Si les gens n’ont pas besoin d’un complément à un salaire très bas, ou s’ils trouvent un emploi tout court, cela déchargerait l’État de 25 milliards d’euros. Mais il faudrait créer au moins 485.000 nouveaux emplois pour cela.

Le plein emploi en Allemagne n’est possible que si on réussit à créer de nouvelles opportunités sur le marché du travail pour plus de 2 millions chômeurs allocataires d’Alg2 (l’équivalent de l’ASS en France, ndt.)”, s’est exprimé le secrétaire d’État du Ministère Fédéral pour l’Économie et la Technologie, le docteur Walther Otremba, lors de la présentation de l’expertise pour le concept du travail civique. L’IZA présume qu’un tel projet de travail pourrait avoir comme effet la création de 1,4 millions emplois. Même si on approuve cette mesure de travail imposée, quelques questions se posent légitimement : y aura-t-il suffisamment d’emplois non pourvus pour les chômeurs jusque-là inoccupés sur le marché du travail ? Le travail citoyen ne va-t-il pas de son côté favoriser la destruction d’emplois ? Ces questions restent ouvertes. L’effet superficiel du “travail civique” serait l’embellissement des chiffres du chômage. Cela est aussi un des résultats de la “stratégie d’activation” en Saxe-Anhalt et en Thuringe. Le rapport du IZA se prononce à ce sujet :

Le déplacement des chômeurs de longue durée dans un travail civique a un effet cosmétique notable sur les chiffres du chômage… Le transfert des chômeurs participant aux mesures qui sont créées artificiellement par cette politique prédomine sur les retours dans de vrais emplois. D’autres communes ont aussi rapporté une diminution significative des chiffres officiels du chômage.

L’étude du IZA démontre, d’après le ministère de l’économie, une soi-disante efficacité de la “stratégie d’activation”, par des comparaisons internationales avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, si le marché du travail est suffisamment “flexible”. Les auteurs de l’étude montrent clairement la pression qui doit être faite sur tous les bénéficiaires d’une allocation de chômage, même si dans un premier temps seulement les chômeurs devront être activés (2):

On imposera un “workfare-job” uniquement à ceux qui présentent des obstacles sérieux ou des problèmes de motivation à l’intégration dans le marché du travail. La menace crédible d’une contrainte à une mesure workfare a non seulement un effet sur les participants de ce programme, mais aussi sur les participants potentiels, ce qui renforcera leurs efforts de recherche d’un travail.

On compte avant tout sur la création de nouveaux emplois dans un domaine où l’on demande peu de qualification et où on paye des salaires très bas. On espère même pouvoir faire reculer le travail au noir, car le “travail civique” ne détruira pas des emplois valables. On prévoit de proposer le “travail civique” non seulement dans le domaine public et dans des structures à but non lucratif, mais aussi dans le secteur privé. Les rémunérations pour un tel travail ne doivent pas dépasser le montant de l’allocation sociale. Il ne sera pas possible de payer des salaires qui sont habituellement pratiqués dans la région ou qui sont fixés par une convention collective. De même, les modèles autorisant le cumul d’une allocation avec un salaire seraient “contreproductifs” et, de ce fait, à proscrire.

L’objectif de qualifier les chômeurs pour le “travail civique” , de les surveiller dans les différentes mesures et de les accompagner dans les actions de qualification, mais aussi pour empêcher les employeurs de profiter des “ travailleurs civiques ” au détriment des employés réguliers, demandera un effort bureaucratique énorme. L’obligation de proposer les services et les produits issus du “travail civique” pour un prix minimum sera très bien pour les employeurs, car cela empêche une concurrence déloyale tout en augmentant leur profit.

Les rapports sur les “mesures workfare” aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas ne sont pas vraiment enthousiastes. Il n’y a pratiquement pas d’informations sur les succès ou les conséquences négatives de telles mesures. Le programme qui domine aux Pays-Bas est le “work first (3)”, qui fonctionne moins avec des sanctions, mais favorise les encouragements. Le “succès” aux États-Unis réside dans le fait que les allocations sociales sont tellement basses que les demandeurs d’emploi doivent de toute façon remuer ciel et terre pour trouver du boulot, juste pour avoir un minimum d’argent. Le secrétaire d’État du ministère de l’Économie s’exprime à ce sujet de façon “remarquable”. Il disait que le concept “ne serait pas lié à une obligation de travailler”, mais seulement un “devoir de participation”.

(Je remercie Florian Rötzer pour son aimable autorisation de traduire et publier son article. Stephan M.)

(1) Cet anglicisme vient de la fusion de « welfare » qui signifie « allocation sociale » et « work = travail. Il s’agit d’un accès à une allocation sociale par le travail (ndt)
(2) En Allemagne n’existe pas de salaire minimum. Il y a plein d’emplois mal payés où on peut travailler à plein temps tout en étant obligé de cumuler son salaire par un complément d’allocation de chômage
(3) Travaille d’abord

7 Responses to “Stratégie d’activation pour les chômeurs”

  1. Stephan M. dit :

    Jusqu’où vont-ils aller ?

    Désormais, l’obligation pour un chômeur allemand de longue durée d’effectuer un travail payé un euro de l’heure n’est plus suffisante comme « mesure d’activation », d’après le ministère de l’Économie. Il y a des chômeurs qui ont pu échapper à ces programmes de coercition, ces fainéants. Le travail à un euro n’est pas une obligation pour tous les chômeurs. Cela peut tomber sur un demandeur d’emploi un peu au hasard, « à la gueule du client », d’après l’humeur du conseiller qui a le pouvoir de faire la pluie et le beau temps. Il y a peut-être même quelques conseillers qui sont humains et à l’écoute de leurs « clients », appellation d’après la sémantique préférée de la « Bundesanstalt für Arbeit » (BA = Anpe allemande) Il faudrait que cette humanité s’arrête! Quelle est la différence entre un « client chômeur » et un vrai client: Pour la première catégorie il y a l’abolition du principe « le client est roi ».

    Le projet gouvernemental est gros. Par mesure de sécurité, on fait donc une étude sur ce projet avant d’appeler ces fainéants au travail obligatoire. Généreusement, le ministère interprète l’étude commandée comme cela l’arrange. Diminution des chiffres du chômage, faire peur aux chômeurs, activation pour accepter n’importe quoi à n’importe quel salaire. Pour éviter des mots qui fâchent (STO, travail obligatoire), on dit « workfare« . Ça fait jeune, dynamique, moderne. L’employeur sera obligé de vendre les services et produits « civiquement » générés à un prix normal en rémunérant le « travailleur civique » à la hauteur de l’allocation sociale, pas plus.

    Dans le temps, on luttait pour un salaire minimum (qui n’existe toujours pas en Allemagne). Aujourd’hui, ce sera un prix de vente minimum avec un salaire de misère maximum, avec une augmentation du profit au bout.

    J’entends la voix de Clint Eastwood dans « Le Bon, la Brute et le Truand« : « Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. »

    Les attitudes « décomplexés » en Sarkozy vont de pair avec la déconcertante franchise du gouvernement allemand. De bonnes bases pour une réactivation de l’amitié franco-allemande, avec une petite concurrence « sportive » qui malmène davantage ses chômeurs ? Dans ce pays propre, on est prêt à tout pour dégoûter, décourager, stigmatiser, malmener, harceler, plumer et « activer » les chômeurs. Cette évolution est plus qu’inquiétante.

  2. Marie-H dit :

    hello Stephan,
    Au niveau surveillance, la Grande-Bretagne fait fort et l’Allemagne commence à faire les yeux doux à son système. Pas plus tard que samedi, j’ai acheté la Süddeutsche Zeitung? Et là, quelle surprise! Une page complète sur la façon de traquer les menteurs qui se portent malades par le biais du téléphone! J’avais déjà vu un 20h sur France 2 où ils montraient ce système de reconnaissance du mensonge vocal ( pardon, mais je rigole) mais un grand article dans un journal que j’aime bien lire la samedi, cela m’a un peu choquée. Donc, à quand tout cela? On parle de la surveillance des chômeurs mais je t’assure que le poids écrasant que les salariés ont sur le dos n’est pas en reste! Rien ces dernières semaines, les quotidiens et hebdos allemands ont fait des papiers sur les congés-maladie des salariés. Et le résultat: ils sont en baisse! Tiensdonc, comment cela est-il possible ? Mobbing, dit-on ici, outre-Rhin …..

  3. Stephan M. dit :

    Bonjour Marie-H,

    On parle de la surveillance des chômeurs mais je t’assure que le poids écrasant que les salariés ont sur le dos n’est pas en reste!

    À mon avis, cela va de paire. Plus les chômeurs subissent de pressions et de maltraitances sociétales, plus les entreprises pourront faire peur aux salariés (de devenir à leur tour des chômeurs). Et cela fonctionne à merveille.
    Pareille pour les congés de maladies. Quand le chômage battait son plein (2004, 2005), les congés de maladie étaient au plus bas. De 2005 à 2006, le chômage officiel baisse d’un point (de 13% à 12%), et hop, les congés de maladies « reprennent » un peu. (voir: Focus) Dans des périodes de chômage fort ou d’autres intimidations comme la traque aux « faux malades » avec médiatisation comme tu en parles, les gens « préfèrent » ne pas se soigner, venir malade au travail, par peur de perdre leur boulot. « Effets secondaires »: contaminations des collègues, travail inefficace, éventuellement augmentation des risques d’accident de travail (mais tant pis), augmentation des problèmes psychiques, plus de risques de maladies cardio-vasculaires…. La peur est un merveilleux outil de pouvoir et de pression.

    En ce qui concerne le « dédecteur de mensonge » par un programme de reconnaissance de voix, là les « grands britanniques » déconnent complètement. Tout ce que ce « détecteur » peut détecter est une tension, angoisse, incertitude, hésitation, tremblement dans la voix. Or on n’a pas seulement peur quand on ment. Il y a même des menteurs sûr d’eux qui n’ont pas le moindre tremblement dans leur voix quand ils racontent des histoires. En revanche, le fait de savoir qu’il y a un « détecteur de mensonge » à l’autre bout du fil, je veux voir celui ou celle qui ne sera pas impressionné, car les conséquences seront graves: la perte pure et simple des moyens de subsistance. Évidemment c’est flippant, et puisque ça fait peur, c’est un « mensonge ». CQFD. À vomir.

  4. Gagabok dit :

    Voilà qui sonne bien comme la chronique du démantèlement progressif de l’Etat-providence à la mode européenne … Je croyais que Sarkozy se caractérisait par une particulière brutalité en matière de traitement des chômeurs et autres bénéficiaires de l’assistance, et voilà que je découvre que des pays autrefois réputés pour l’humanité de leurs systèmes sociaux (Allemagne et Pays-bas) sont en fait plus radicaux encore. Si quelqu’un peut me renseigner : existe-t-il des pays soustraits à cette évolution délétère ? et si oui lesquels ?

  5. Stephan M. dit :

    Sarkozy est particulièrement brutal, quand on voit d’où on vient, mais comme vous le constatez à juste titre, ce président n’est pas le seul à être un moteur de cette évolution régressive en Europe. La raison pour laquelle j’ai eu envie de faire ce blog est d’informer les internautes francophones sur la situation sociale dégradée en Allemagne. C’est un sujet boudé par médias français, et pour les associations militantes, il y a l’obstacle de la langue.

    Jusque dans mes relations personnelles j’ai constaté que l’Allemagne bénéficie toujours d’une bonne image en France au niveau social (assurance maladie, assurance chômage, etc.), mais cette image est devenue obsolète depuis longtemps, elle date des 30 glorieuses et n’a plus rien à voir avec la réalité d’aujourd’hui. L’Allemagne a subi une évolution avec laquelle elle peut difficilement se valoriser aux yeux de ses pays voisins, donc elle a préféré se taire, et les médias jouent le jeux. La casse sociale sous le gouvernement socio-démocrate du chancelier Schroeder a été historique. La SPD paie encore aujourd’hui le prix pour la trahison de sa politique sociale, et les électeurs se détournent de ce parti. Comme un parti poliltique peut avoir des fidèles pendant très longtemps, même si la politique ne plaît plus, le contraire est aussi possible. Je crois que le SPD a perdu pour 10 ou 20 ans (ou pour de bon) une grande partie de ses électeurs; une telle trahison ne s’oublie pas.

    Malheureusement je ne peux répondre à votre question intéressante sur l’existence de pays qui ont renoncé à cette évolution délétère. La première idée qui me vient à l’esprit sont les pays scandinaves, mais c’est seulement une idée, un préjugé véhiculé par les médias. J’attends avec vous la réponse d’un internaute qui a peut-être une réponse fondée sur des connaissances solides.

  6. Gagabok dit :

    Votre blog est vraiment très intéressant et de salubrité publique. Tout le monde devrait être clairement et dûment informé de ce que vous décrivez. Moi aussi j’avais ce préjugé hérité d’un état de fait révolu : les allemands ne se maltraitent pas socialement comme peuvent le faire les anglais par exemple. Après vous avoir lu, je tendrais plutôt vers un avis inversé : tout compte fait je préfère encore les américains qui assument leur brutalité et ses conséquences inhumaines que ces hypocrites teutons qui voudraient en plus toujours se présenter comme des gens soucieux de justice sociale. Au moins les premiers ne sont pas en plus des menteurs éhontés… Que ce soit Schroeder (SPD et donc de gauche) et ses alliés verts, et non pas Kohl (CDU et donc de droite – et qui avait consécutivement aux difficultés engendrées par la réunification au moins tout autant toute latitude pour le faire) qui fut le grand architecte de ce démantèlement en dit long sur l’inanité et la superficialité désormais des clivages politiques traditionnels.

  7. Stephan M. dit :

    Je vous remercie, Gagabok, votre commentaire m’encourage de poursuivre ce travail, et je vous suis dans votre préférence d’annoncer la couleur. La politique antisociale, méprisante jusqu’au cynisme institutionnel en Allemagne est chachée, « normalisée », et parfois le discours de certains rédacteurs en chef de journaux réputés me font dresser les cheveux quand je les entends dire avec un grand naturel comme ils considèrent normal le traitement des demandeur d’emploi (de longue durée), des pauvres en générales, et les traitements que subissent les étrangers réfugiés est un sujet tabou, très lourd et complètement tu par les médias. J’ai fait une petite intruduction concernant l’asile politique en Allemagne, mais il y a beaucoup de choses à dire. Dans cette ligne éditoriale, il y a encore du boulot pour très longtemps…