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Les droits fondamentaux comme le droit de réunion, la liberté d’opinion, le droit de vote, sont la base même de la démocratie. Mais ces droits ne font pas forcément plaisir aux autorités car ils permettent au simple citoyen de se protéger ou se retourner contre l’État. La Bavière fut le premier land à restreindre  le droit fondamental de réunion. Cela rend l’organisation des grèves et des manifestations plus difficiles, voir impossible.

La Bavière a ainsi fait un pas important vers la postdémocratie. La  liberté de réunion – droit fondamental en Allemagne, garanti par l’article 8[1] de la constitution et l’article 11 de la convention européenne des droits de l’homme[2], énonce :

  1. Tous les Allemands ont le droit de se réunir pacifiquement, sans armes, sans annoncer la réunion et sans autorisation.
  2. Le droit à la réunion en plein air peut être restreint par une loi.

Ce qui peut heurter en premier lieu dans le paragraphe 1 de l’article 8 est le fait qu’il est bel et bien question de réunion d’Allemands. Ceux qui n’ont pas le privilège d’avoir la nationalité allemande doivent faire appel à l’article 2[3] de la constitution qui garantit une « liberté d’action » pour se réunir.

On peut concéder au paragraphe 2) qui permet d’encadrer ce droit fondamental par une loi (mais ce n’est pas une obligation) une utilité et même une nécessité. Mais quand, depuis peu, l’encadrement législatif de la liberté de réunion dans certains länder facilite au pouvoir exécutif de surveiller et criminaliser les organisateurs et les participants de réunions et surtout des manifestants et d’annuler des manifestations pour des raisons factices, il y a là un problème de démocratie.

C’est la fameuse réforme du fédéralisme de 2006 donnant aux länder une grande autonomie dans des domaines clé comme la législation, l’éducation, la loi sur les fonctionnaires, le régime pénitentiaire et la protection contre les catastrophes qui permet à chaque land de fabriquer sa propre loi de réunion. Peut-on encore parler d’un droit fondamental si un éclatement par land de sa loi d’application est en train de s’opérer ?

La Bavière sera le premier land à adapter la loi de réunion à « ses besoins ». Ce land, fief du parti traditionaliste de droite socio-chrétien (CSU), souffre apparemment d’un sentiment d’insécurité accrue, car de dangereuses et indésirables réunions et manifestations y ont lieu. En Bavière, on sait y remédier – sa nouvelle loi sur la liberté de réunion sera significativement restrictive.

Le gouvernement prétexte le risque d’un abus de manifestants violents d’extrême droite. Cette population aux idées brunes aime se rassembler à des dates symboliques comme la date d’anniversaire ou de mort de Hitler ou le 8 mai, fin de l’Allemagne nazie.[4] Que les nouvelles restrictions concernent tous les manifestants, des grévistes, des syndicalistes, cela est généreusement mis sous le tapis par la communication gouvernementale.  Le gouvernement a-t-il peur des manifestations sans oser l’avouer ?

Les critiques pleuvent. Dans un communiqué de presse, Les Verts, en tout 13 organisations identifient la loi comme anticonstitutionnelle et annoncent la déposition d’une plainte collective contre la loi bavaroise au tribunal constitutionnel à Karlsruhe. [5] Le projet gouvernemental rencontre une large désapprobation dans les sciences du droit, des organisations politiques et sociales et dans la population. Quand le gouvernement veut restreindre le droit de se réunir et de manifester, on se réunit et on manifeste :

demo-verdi

( Manifestation pour la liberté de réunion à Munich, 21 juillet 2008.
Photo copyright « ver.di München » )

Rien n’y fait, la nouvelle loi, décidée et élue seule par les députés de l’union socio-chrétienne (CDU), est publiée le 28 juillet 2008 pour rentrer en vigueur le 1er octobre 2008.

Avant de continuer, admirons ce chef-d’œuvre de régression de démocratie plus en détail (l’ancienne loi nationale en bleu, la nouvelle loi bavaroise en rouge) :

  1. Il faut au moins trois personnes pour constituer une réunion
    Ce nombre est réduit à deux personnes.
  2. Le délai pour déclarer une réunion publique à une administration compétente est au moins 48 heures à l’avance
    Ce délai est augmenté à 72 heures, et dans le cas des manifestations qui traversent les frontières des länder, il faut 96 heures minimum.
  3. La police ne peut pas venir sans raison dans une réunion publique en espace fermé
    Dans la nouvelle loi, on doit la laisser entrer pour qu’elle puisse « prendre des notes » si elle le souhaite.
  4. La police ne peut pas filmer une manifestation dans une vue globale.
    La police peut filmer une manifestation dans une vue globale, et elle peut exploiter les images et les enregistrer pour une période indéterminée.
  5. Point inexistant dans l’ancienne loi.
    Si des « droits de tiers » risquent d’être perturbés par une manifestation, celle-ci peut être interdite. (Conséquences: il suffirait que quelques commerçants ou magasins, craignant une perte de gains si la manifestation passe dans leur rue,  signalent leurs craintes à l’administration, alors la manifestation sera interdite. C’est le bon fonctionnement du capitalisme qui est au-dessus de tout.)
  6. Un service d’ordre doit être organisé pour garantir la sécurité. L’organisateur peut aussi spontanément mettre en place un service d’ordre si la situation le demande. L’organisateur doit déclarer les personnes du service d’ordre à l’administration compétente.
    Les personnes du service d’ordre doivent être déclarées avec leurs nom et adresse. L’organisateur, les personnes du service d’ordre et les membres de l’organisateur sont pénalement responsables en cas « d’incident ». (Un dérapage, des casseurs qui font des dégâts : ce sont l’organisation et les membres qui seront condamnés pour des faits qu’ils n’ont pas commis).
  7. Point inexistant dans l’ancienne loi.
    Nouvelle loi  (dite « interdiction de militance« ) :
    L’utilisation de vêtements « qui se ressemblent », comme des cravates, des autocollants, des habits de même couleur peuvent motiver la dissolution immédiate de la manifestation par la police. Plus : il suffit d’un « comportement pseudo-militaire » comme des mouvements synchronisés, des pas cadencés ou tout comportement ou aspect « intimidant » qui permet à  la police de mettre fin à la réunion.

La nouvelle loi à peine en vigueur, c’est Bade-Wurtemberg qui suit le mouvement. Le land fait un copier/coller de la loi des Bavarois puis apporte quelques « améliorations » :

  • L’administration peut exiger un nombre précis de personnes du service d’ordre avec l’enregistrement de leur nom, adresse et date de naissance (et numéro de carte d’identité). Elle peut refuser sans justification les personnes proposées et ainsi empêcher la manifestation. La police et la presse (aussi la presse d’extrême droite) ne peuvent être exclues.[6] (Les organisateurs et les  personnes assurant le service d’ordre resteront dans les fichiers de la police)
  • L’organisateur encourt une peine s’il ne met pas fin à temps à une réunion quand une « disposition à la violence est identifiable ». (formulation bien caoutchouteuse – comment identifie-t-on une « disposition à la violence » ?)
  • Lors du voyage d’arrivé à une réunion, la police a des droits extraordinaires pour contrôler les arrivants (fouilles, vérifications d’identité…)
  • Il est interdit de perturber des réunions.

Le gouvernement de Bade-Wurtemberg prétexte, comme la Bavière, le danger de réunions d’extrême droite, mais la nouvelle loi, au lieu de les rendre plus difficiles, les protège par l’interdiction de perturber les réunions. Bündnis 90/Die Grünen (Les Verts) précisent dans un communiqué d’une réunion extraordinaire à Augsburg (fichier pdf), que la législation actuelle permet déjà l’interdiction de manifestations d’organisations d’extrême droite ce qui démontre que d’autres motivations pour restreindre le droit de réunion doivent exister.

Après Bade-Wurtemberg c’est la Basse-Saxe qui fait le projet de faire « sa loi » de réunion, à l’instar des deux premiers länder.

Manifestations contre la nouvelle loi de réunion :

31/05/2008      Munich

29/11/2008      Mannheim

07/12/2008      Stuttgart

13/12/2008      Freiburg

D’autres manifestations sont en préparation. On peut penser que d’autres länder vont suivre l’exemple, mais ils vont attendre la décision du tribunal constitutionel avant de s’engager plus loin.

Exemple de répression quand la loi de réunion n’est pas observée

Le 13 décembre 2008, une manifestation à Brême « contre la répression » est interdite. 300 personnes manifestent malgré l’interdiction. Résultat : 170 personnes en garde à vue. (Cela signifie entre autre 170 personnes de plus dans les fichiers de la police) Le grand nombre de policiers qui a encerclé les manifestants a provoqué l’engorgement total du centre de la ville pendant deux heures. Cela s’est passé sous l’ancienne loi qui est toujours en vigueur à Brême. On voit bien que l’ancienne loi permet sans problème d’être répressif. La nouvelle loi élargit les possibilités de répressions.

Problèmes et critique

Problématique n’est pas seulement la loi, mais ce que l’on peut en faire. Il y a des formulations floues et imprécises qui permettent aux autorités des abus et une interprétation répressive.

Quand deux personnes distribueront des tracts sur un lieu publique, ce sera désormais une « réunion » qui nécessite une autorisation, et ceci au moins 72 heures à l’avance. Que cette loi ne sera peut-être pas toujours appliquée avec cette rigueur ne rassure guère, il est possible qu’elle le soit. Que les autorités en Bavière ne s’en priveront pas, illustre l’exemple suivant :

Encore avant l’entrée en vigueur de cette loi, quelques salariés d’un magasin de mode dans le centre de Munich ont commencé une grève spontanée. Ils ont installé des piquets de grève devant le magasin et ont informé les piétons de leur demandes, en parlant avec eux et en distribuant des tracts. Le magasin a aussitôt appelé la police qui a vérifié des identités des grévistes et les a pris en photo. Résultat des courses : les grévistes sont accusés d’avoir violé le droit de réunion. Une procédure judiciaire contre eux est en cours.[7] (Le texte ne donne pas plus de précisions, mais les grévistes ont probablement été plus que deux, car à partir de trois personnes, d’après l’ancienne loi, il s’agit d’une réunion.)

La police, qui peut refuser des personnes proposées pour le service d’ordre ne les refusera que si elles sont connues pour avoir « une disposition à la violence ». Mais ceci n’est écrit que dans la justification de la loi, pas dans la loi elle-même. Cela permet des refus sans justification ou avec des justification bidons. De plus, l’obligation de déclarer des personnes sans antécédents judiciaires peut rebuter celles-ci de se proposer comme service d’ordre. Tout le monde n’aura pas envie de figurer à maintes reprises dans les fiches de la police  (et y rester. Cela peut même se retourner contre ces volontaires. Tarnac vous dit quelque chose ? … a participé à des manifestations…).

Les organisateurs de réunions et manifestations ont davantage d’obligations qui en outre ne sont pas bien définies. Si les autorités n’apprécient pas la collaboration avec un organisateur, ce flou peut servir de prétexte pour interdire la manifestation. Une opposition et une plainte contre l’interdiction d’une réunion/manifestation n’aura pas d’effet prorogatif. En revanche, l’autorité n’est soumise à aucun délai pour que l’organisateur puisse s’opposer à une décision à temps. Chaque réunion/manifestation sera, jusqu’à la dernière minute, incertaine.
Les très grandes manifestations vireront au cauchemar administratif par l’obligation de déclarer une centaine, voir des centaines de personnes pour le service d’ordre qui doivent tous être vérifiées par la police s’il y a des « personnes à risque ».

Particulièrement problématiques sont l’interdiction de « militance » et le port d’ »uniformes ». Le port de n’importe quel vêtement professionnel tombe sous la loi – des bleus de travail, des blouses blanches d’infirmières et médecins, des robes de juges, les uniformes de police, de pompiers. Le droit de grève pourrait être supprimé par un détour sur l’ « interdiction de militance » de la nouvelle loi de réunion. Il est vrai que les néonazis ne pourraient plus se montrer dans des attroupements en bottes de parachutistes et habits paramilitaires, mais cela ne supprimera pas les manifestations de néonazis, seulement leur façon de s’habiller. Les « blocs noirs » vont aussi disparaître ou être criminalisés, s’ils ne renoncent pas à leur habillement.

Tout organisateur de manifestations et ses membres encourent un risque financier et juridique inconsidéré. Quelques agents provocateurs qui introduisent de la violence dans une manifestation et qui disparaissent rapidement peuvent ainsi obliger l’organisateur à dissoudre la manifestation au risque d’une peine lourde.

L’organisateur et le service d’ordre d’une manifestation deviennent des shérifs adjoints de la police.

Prise de position de T. Trüten, coodinateur de l’alliance des manifestants contre la nouvelle loi de réunion, membre dirigeant du syndicat IG Metall : (émission d’une radio de Berlin)

« La loi de réunion que Bade-Wurtemberg veut introduire pour le 1er janvier 2009 est une réduction des droits fondamentaux de la démocratie. Les régressions sociales en Europe et en Allemagne en particulier, comme la retraite à 67 ans, Hartz 4, la crise financière ne laissent les gens pas indifférents. Beaucoup  auront des situations difficiles à vivre, et elles se poseront la question comment réagir – agir politiquement, protester ou tout subir ? Même avec une plus grande répression l’État ne pourra pas empêcher que les gens protestent, et cette nouvelle loi rend la protestation plus difficile.

 

Si le NPD (parti officiel d’extrème droite en Allemagne) fait un congrès et on voudrait organiser une manifestation contre ce congrès, ce ne sera plus possible avec la nouvelle loi, car les manifestants vont gêner une réunion. L’extrème droit de ce fait sera donc protégée.

 

Le prétexte que la nouvelle loi va empêcher les rassemblements de néonazis n’est pas non plus crédible. Nous avons le paragraphe 130 qui rend passible d’une peine de prison de 3 mois à 5 ans qui appelle publiquement à la haine contre une partie de la population, qui l’injure, la méprise et la diffame publiquement. On trouve ces éléments dans les rassemblements de néonazis, mais ce paragraphe n’est jamais appliqué. Donc pourquoi une loi qui restreint un droit fondamental si on veut agir contre le néonazisme ? Cela n’a pas de sens.

 

Concernant l’interdiction de la « militance », cela voudrait dire que les membres de notre syndicat ne pourront plus mettre leur bonnet rouge dans une manifestation, signe de reconnaissance de notre syndicat, cela déjà peut être un prétexte pour dissoudre la manifestation.

 

Cette histoire de droits de tiers – qu’en est-il si on veut manifester contre un groupe industriel ? Il est certain que le groupe industriel verra son image publique entâchée, une manifestation contre lui sera contre ses intérêts. On peut penser que la nouvelle loi est plutôt faite pour empêcher des manifestations que pour les protéger, comme le gouvernement le prétend. »

T. Trüsten pense – et il est loin d’être le seul – que la nouvelle loi prépare le terrain des protestations de masses que l’on peut attendre dans un avenir plus ou moins proche.

Les 19 et 20 septembre 2008, des organisations d’extrême droite d’Europe ont voulu organiser un congrès « anti-islam » à Cologne sur deux jours. La population de la ville venant de la politique, de syndicats, d’églises, des manifestants et les habitants ont paisiblement et astucieusement empêché le congrès.[8] Des taxis, bateaux et bus refusaient de transporter les participants du congrès, les hôtels « n’avaient pas de chambres libres », les manifestants bloquaient tous les accès au lieu du congrès. Après deux jours de galère et de honte, les nazillons, frustrés, sont rentrés chez eux, leur congrès n’a pas eu lieu. Avec la nouvelle loi de réunion, une telle action ne sera plus possible (interdiction de déranger une réunion). Vous avez dit une loi contre des réunions de l’extrême droite ?


[1] http://dejure.org/gesetze/GG/8.html
[2] article 11, convention européenne des droits de l’homme
[3] http://dejure.org/gesetze/GG/2.html
[4] Voir l’article du cotidien Die Süddeutsche
[5] DGB (syndicat), ver.di (syndicat), GEW, (syndicat), fédération protection de la nature, PWV (association caritative), fédération des journalistes, Union humaniste, SPD (parti socio-démocrate), Bündnis 90/Die Grünen (Les Verts), FDP (parti démocratique libéral), Die Linke (La Gauche), Attac Munic, Arbeitskreis Vorratsdatenspeicherung (groupe de travail contre la rétention des données)   la plainte en document pdf
[6] Des manifestants anti-antifa ont souvent essayé de prendre en photo des membres d’organisation antifascistes pour les menacer plus tard publiquement sur internet. Jusque-là il était possible d’exclure la presse d’extrème droite des groupes anti-extrème-droite. Désormais ce n’est plus possible.
[7] Problèmes de piquets de grève avec la « loi de réunion »
[8] Cologne empêche un rassemblement de groupes de l’extrême-droite européenne

4 Responses to “Attaque importante contre le droit fondamental de réunion”

  1. Stephan M. dit :

    Je ne m’attendais pas à beaucoup de commentaires, mais au moins à quelques’uns. Quelle surprise quand je me suis aperçu que j’avais oublié d’autoriser les commentaires. Quelle anduillle que je suis ! Excusez-moi. Cela m’avait complètement échappé.

  2. t dit :

    très inquiétant

  3. herrk dit :

    Bonjour – Je me demande qu’en est-il aujourd’hui de cette loi

  4. Anonyme dit :

    i love you deutschland