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(24/10/2008)

Conférencier : Alvar Freude

Le BigBrotherAwards dans la catégorie « consommateurs I » est remis aux

membres du 16e Parlement fédéral allemand,
représentés par
Dr Norbert Lammert, président du Bundestag allemand

pour l’adoption à la légère de plusieurs lois qui ont pour conséquence inévitable l’enregistrement et la transmission de données détaillées sur des voyageurs.

Le voyageur est aujourd’hui sous une surveillance permanente. On pourrait penser que voyager en soi suffit déjà pour s’attirer le soupçon d’être un terroriste ou un criminel. Non seulement les enregistrements vidéo permanents dans des gares et aéroports, des métros et bus nous mettent mal à l’aise. Les lois des länder – provisoirement invalidées par le Tribunal constitutionnel fédéral – pour la saisie globale des plaques d’immatriculation de voitures doivent également faire réfléchir les citoyens honnêtes. Même voyager en train n’est guère possible sans atterrir dans une base de données. C’est pour cette raison que la Deutsche Bahn AG (les chemins de fer allemands) avait déjà obtenu un BigBrotherAwards l’année dernière. (lien). Bientôt il n’y a plus aucun moyen de transport qui puisse se soustraire à une surveillance constante. Et les mailles du filet sont de plus en plus serrées.

Saviez-vous par exemple que les données des passagers de ferries et de bateaux de croisières seront à l’avenir automatiquement transmises aux autorités navales et à la police fédérale, enregistrées et données à d’autres administrations et entreprises ? Votre excursion sur les îles frisonnes orientales sera donc enregistrée.

Nous devons cela à une loi qui fut votée le 24 janvier 2008 au Bundestag, avec peu de voix contre et pratiquement inaperçue par le public.[1] Cette loi a l’intitulé encombrant « Loi pour le changement de règlements juridiques de circulation navale, de règlement juridique de circulation et d’autres règlements se référant au droit maritime« [2] ce qui est peut-être une indication que nos représentants du peuple ne s’en sont pas occupés avec les soins nécessaires. Nouveau est entre autres le § 9e dans la loi sur les missions dans la navigation maritime (Seeaufgabengesetz)[3] dans lequel on trouve la liste les données à enregistrer de tout voyageur – pour « écarter les dangers », cela va de soi ; dans cette liste il y a le nom, le numéro de la carte d’identité, le port de départ et d’arrivée. Ces données peuvent être transmises à des « services publics administratifs » qui ne sont pas précisés – et en cas de besoin, en outre, à des entreprises portuaires, des bureaux d’enregistrement de bateaux, des sociétés de service portuaire et d’autres services non publics, ce qui veut dire des entreprises privées. Même des services étrangers supra- ou transnationaux peuvent recevoir ces données, à quelques vagues exceptions près.

Pratiquement on ne peut pas savoir où toutes ces données peuvent atterrir. Leur durée d’enregistrement n’est pas précisée dans la loi. La formule est lapidaire : les ministres de l’Intérieur et de la circulation régleraient cette question. C’est donner carte blanche à l’enregistrement et au traitement des données de voyages en bateau de 29 millions de passagers sans que cela soit soumis à un contrôle.

La justification pour le rassemblement des données nous est familière : la loi voudrait permettre de repérer soi-disant des « personnes à risque ». Autrefois, les données des passagers permettaient surtout à savoir qui était à bord au cas d’un accident. Aujourd’hui il s’agit de filtrer des gens indésirables en amont – au prix du renoncement à une autre partie de l’anonymat et de la sphère privée de tous les voyageurs en bateau.

Passons maintenant de l’eau à l’air où la situation n’est guère meilleure : Le 15 novembre 2007, les députés du parlement fédéral ont donné leur approbation[4], avec les voix de la coalition du gouvernement, à une loi[5] qui ratifie la convention sur les données de voyages aériens entre l’UE et les USA. Cette convention a été négociée dans le cadre de la présidence du conseil européen sous la direction du ministre de l’Intérieur Wolfgang Schäuble – un vieux chasseur de données bien connu. Elle réglemente la remise des données des compagnies aériennes au ministère de l’Intérieur (department of homeland security DHS) des USA. Cette convention remplace une convention précédente de l’année 2004 qui a été annulé[6] par la Cour européenne à cause d’un manque de fondements juridiques. On a envie de le regretter après-coup, car cela a encore baissé le niveau de protection des données. Les Etats-Unis donnent maintenant encore moins de garanties selon les normes européennes sur l’utilisation des données, et ils les stockent encore plus longtemps, à savoir 15 années.

Il s’agit des enregistrements appelés « passenger name records » (PNR). Les compagnies aériennes les transmettent aux administrations états-uniennes déjà avant le vol, et non seulement ils sont exploités par la douane et la police frontalière (des Etats-Unis), mais ils sont aussi enregistrés au ministère de l’Intérieur. Ces PNR contiennent 19 informations détaillées : au nom, à l’adresse et aux données des cartes bancaires se rajoutent également des informations sur des réservations d’hôtels, de numéros de places assises et même des préférences alimentaires. Le prix du billet d’avion et le nom du chargé du dossier de l’agence de voyage sont également stockés – pendant 15 ans. Un droit d’informations et de plainte n’est pas prévu pour les personnes concernées.

On se demande pour quelle raison les services des Etats-Unis s’intéressent à ces détails. Encore plus passionnante est la question suivante : Pourquoi les membres du parlement fédéral allemand ont-ils voté pour une transmission de données d’une telle ampleur ?

En revanche, les données personnelles des députés sont souvent sacrées, il suffit d’observer leurs réactions quand la transparence de leurs revenus annexes a été revendiquée. Mais la protection de la sphère privée du simple citoyen ne semble pas avoir une grande importance.

Par ailleurs : Si vous vous décidez, pour protéger votre sphère privée, de ne plus prendre l’avion en destination (directe) des Etats-Unis, cela ne vous aidera pas beaucoup, car l’UE a pratiquement les mêmes projets en ce qui concerne les vols entre des États non européens et l’Europe. Dans ce cas, on voudrait aussi garder les données sensibles pendant des années, peu importe l’usage que l’on en fera. Permettons-nous la question : pour combien de temps encore ?

Les prochaines lois d’accumulation de données sont en train de se préparer. Ayez un peu plus de réflexions sur vos décisions, chers députés, avant de lever vos mains.

Pour l’instant.

Félicitations pour le BigBrotherAward, chers membres du 16e parlement fédéral allemand !

Félicitations pour le BigBrotherAward, monsieur Dr Lammert !

Source: BigBrotherAwards.de


[1] Protocole de séance plénière : http://dip21.bundestag.de/dip21/btp/16/16139.pdf
[2] Loi de changement (Änderungsgesetz) : http://www.bgblportal.de/BGBL/bgbl1f/bgbl108s0706.pdf
[3] Version intégrale de la loi sur les missions dans la navigation maritime
[4] Protocole de séance plénière : http://dip21.bundestag.de/dip21/btp/16/16126.pdf
[5] Loi sur la convention du 26 juillet 2007 entre l’UE et les Etats-Unis d’Amérique pour le traitement d’enregistrements de données de passagers (Passenger Name Records – PNR) et leur transmission par les compagnies aériennes au United Departement of Homeland Security (DHS) – voir
http://frei.bundesgesetzblatt.de/pdf/bgbl2/bgbl207s1978.pdf
[6] http://curia.europa.eu/de/actu/communiques/cp06/aff/cp060046de.pdf

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