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Après un premier licenciement scandaleux d’une caissière de la chaîne Kaiser’s pour un soi-disant  détournement  d’un bon de consigne d’une valeur de 1,30 euro, licenciement qui a été confirmé en appel par le tribunal du travail, il y un nouveau cas de « vol » qui ressemble étrangement à celui de la caissière. ([1] et [2])

Cette fois-ci il s’agit de deux salariés de la chaîne boulangère Westermann. La chaîne avait reproché à deux employés d’avoir commis un vol d’une valeur de quelques centimes. Les salariés avaient mis de la « pâte du berger[3] » sur un petit pain qu’ils avaient acheté ( ! ) et ensuite mangé. L’employeur leur a reproché d’avoir consommé ce produit sans autorisation et avait qualifié cette consommation de « vol ». Un salarié boulanger âgé de 44 ans travaille depuis 24 ans dans la chaîne, son collègue a 26 ans. Comme la caissière de Kaiser’s, les deux boulangers font partie du comité d’entreprise et sont syndicalement engagés. Malgré leur appartenance au comité d’entreprise, ils furent licenciés sans préavis et sans que le comité d’entreprise ait été consulté. Déjà pour cette non-consultation, ou plus précisément parce que l’invitation à la consultation du comité d’entreprise était formellement non valable, le licenciement n’était pas légal, un classique vice de procédure. Le juge s’exprime en faisant allusion au cas de la caissière : « Sans cette faute formelle dans la procédure de licenciement, on aurait eu encore une suite de procès au résultat incertain ».

La chaîne est condamnée à réintégrer les deux boulangers. Le plus jeune d’eux a déclaré avoir goûté la pâte du berger pour savoir si sa qualité était bonne. « De toute façon, si nous avions mis en vente une pâte trop salée, on nous l’aurait aussi reproché », disait-il. Il ne s’est pas encore prononcé s’il souhaite continuer à travailler chez cet employeur.

Les deux exemples sont intéressants à plusieurs égards : dans les deux cas, il s’agit de salarié(e)s membres du comité d’entreprise. Les salariés syndicalement engagés semblent mener une vie dangereuse, leur place dans l’entreprise ressemble à une chaise éjectable où l’ancienneté (31 ans pour la caissière, 26 ans pour l’un des boulangers) ne joue aucun rôle quant à la sécurité de l’emploi.

La caissière a été condamnée à être licenciée pour un « soupçon aigu » de faute. C’est une présomption de culpabilité, ce qui est une particularité dans le droit du travail allemand. En revanche, comme le remarque très justement la caissière, les nombreuses heures supplémentaires non payées qu’elle a effectuées dans sa carrière et dans cette entreprise ne sont jamais considérées comme du vol. L’inégalité des forces entre employeurs et employés est flagrante.

Quand les magouilles de TVA, de marges élevées injustifiées sur le dos des consommateurs ou producteurs, d’heures supplémentaires non payées, de cotisations sociales impayées, d’impôts détournés de certaines entreprises sont considérées comme des peccadilles, le moindre faux-pas du salarié peut l’éjecter de l’entreprise. Si dans un autre contexte on saisit la justice pour des valeurs aussi insignifiantes que celles-ci, on risquerait une accusation pour abus de justice.

Le vice-président du Bundestag allemand, Wolfgang Thierse, donne son avis sans mâcher ses mots : « Le jugement contre l’employée du supermarché (Kaisers) est asocial et barbare. La décision est démesurée[4] ». Il est en colère car « les petits » sont punis avec brutalité quand les grands sont encore récompensés pour leurs fautes. Il n’est pas seul avec cet avis. Cette question départage les opinions du CDU et SPD. Le porte-parole de droite de la CDU, Jürgen Gehb, rejette la critique de Thierse et surtout le choix de ses mots.

La visibilité de l’inégalité des forces et de justice entre riches et pauvres vient finalement à un moment crucial. Le comportement des employeurs et certaines décisions de justice mettent en évidence jusqu’à sa caricature le vrai visage du système actuel en souffrance.


[1] Libération : Une caissière virée pour 1,30 euro
[2] Stern : Licenciement pour 1,30 valable
[3] une pâte à tartiner
[4] Abendblatt : Thierse maintient sa critique à propos du jugement concernant la caissière

4 Responses to “Allemagne : Le procès des petits pains”

  1. maguy dit :

    Nous avons eu le cas récemment chez nous aussi.
    J’avoue que si un jour je rebosse, je conserverai soigneusement toutes preuves de malversation d’un employeur, je sais que je suis parano mais un employeur est pour moi à priori un esclavagiste en puissance, doublé d’un fraudeur et pour autre chose que quelques centimes.
    Essayer de garder un coup d’avance, comme aux échecs !

  2. gongoro dit :

    un remake de jean valjean dans les misérables , nous sommes tellement avides de mélodrames ! cette immense accumulation de mélodrame ne va t elle pas tuer le mélodrame ?

  3. Stephan M. dit :

    On se porterait mieux si de telles choses n’avaient pas lieu.
    Apparemment cela vous arrange que ces choses soient considérées comme étant normales ou pas digne d’attention. Que je vous rassure : vous n’êtes pas seul.

  4. Pili dit :

    Bonsoir

    Ce n’est pas un mélodrame…c’est une regression…et un scandale….justement un retour à un ordre ancien celui des Misérables du 19 éme siècle…en ce début du 21 éme siècle, nous aurions pu espérer mieux!

    C’est en plus une sanction disproportionnée face aux délits que commettent les dirigeants qui nous plongent dans la pauvreté et qui nous font payer leur crise!

    Le vol est interdit…alors pourquoi ne condamnons- nous pas les délinquants en col blancs, des paradis fiscaux, des parachutes dorés
    Une justice à deux vitesse et dasn une démocratie par dessus le marché, oui, il y a de quoi s’offusquer et de s’indigner
    Y-a- tout de même un truc qui tourne pas rond dans ce monde!