Feed on
Posts
Comments

Tout en travaillant, le chômeur reste chômeur et le RMIste reste RMIste. Conception bien étrange pour un État dit démocratique et développé.

À ce sujet, je vous livre un résumé que j’ai fait d’une étude de recherche des effets socio-économiques du travail d’intérêt général obligatoire à la destination des demandeurs d’emploi en Allemagne. Ce rapport démontre que le travail obligatoire à coût zéro coûte beaucoup à la société et ne résout en rien le problème du chômage. Au contraire. Toute ressemblance avec le RMA n’est pas fortuite. À lire avec précautions.

Les réformes que proposent les ‘grands’ candidats à la présidence de la France pour lutter contre le chômage ne sont pas novatrices, je pense en particulier à une: lier le versement d’un minimum social à une obligation de travail, mais cela n’est pas un inconvénient, car pourquoi ne pas s’inspirer de ce que font les pays voisins, comme l’Allemagne, par exemple. Peu importe la connotation positive que se forcent de donner les candidats (responsabiliser, la dignité, la valeur travail, etc.) à effectuer un travail d’intérêt général, ils peuvent rajouter du miel à volonté: il s’agit néanmoins d’un travail obligatoire dont le refus sera sanctionné par une réduction significative ou la suppression pure et simple de l’allocation aumônale, appelée depuis le début de la campagne électorale ‘assistanat’.

On peut se poser la question, pourquoi reprendre les idées d’autres pays sans s’être intéressé aux résultats qu’a donné la mise en pratique de ces idées dans ces pays. En tout cas, ce ne sont pas les candidats à la tête de la course qui se sont intéressés de plus près aux résultats qui sont pourtant à la disposition de tous, pourvu que l’on soit connecté à internet et que l’on comprenne l’allemand. Ce ne sont donc pas des obstacles insurmontables pour un(e) futur président(e) de la France.

Quand je parle de résultats, je m’appuie sur une étude publiée par « l’Institut für Arbeitsmarkt- und Berufsforschung » (IAB)(1)
(traduction : institut de recherche sur le marché de travail et de la profession).

Je me pose la question sur l’indépendance de cet institut de la « Bundesagentur für Arbeit » (abr.: BA = ANPE allemande), découvrant le logo de la BA sur la page d’accueil du site du IAB, sans pouvoir me prononcer pour le moment. En lisant son rapport, je m’aperçois que malgré un ton artificiellement positif, les résultats sont plus que décevants. Ne nous laissons pas tromper par l’encens qui édulcore les faits. Mais venons aux faits, c’est-à-dire à ce qu’a fait l’Allemagne ?

Avec l’entrée en vigueur du plan Hartz 4 en début 2005, il existe la possibilité de procurer un ‘travail occasionnel acceptable’* de durée déterminé (6 à 9 mois) pour des personnes capables de travailler, dépourvu d’emploi et bénéficiant de l’ALG2 (l’équivalent de l’ASS : 345 euros par mois + le paiement du loyer dans une certaine limite), à raison de 20 à 30 heures par semaine. Pour le travail effectué sera payé un « dédommagement » entre 1 et 2 euros par heure, que le chômeur a le droit de cumuler avec son allocation.

* Acceptable est tout travail qui n’est pas illicite ou immoral

(« Procurer un travail » est ici une obligation, car en cas de premier refus le chômeur se verra réduit son allocation de 30%, ensuite davantage jusqu’à la suppression totale en cas de récidive. Un chômeur âgé de 25 ans ou plus jeune se verra supprimer son allocation dès le premier refus)

Conditions générales de ce « travail social occasionnel » :

  • Les travailleurs à 1 euro (T1E) ne doivent pas remplacer le travail d’un salarié
  • Les travaux doivent présenter un intérêt général et être supplémentaire*
  • tous les travaux supplémentaires qui ne font pas concurrence à l’économie locale sont autorisés
  • ce travail occasionnel n’est pas un travail qui s’inscrit dans le cadre du code de travail. Il n’y a pas de contrat de travail, pas de salaire, pas de maintien du paiement de dédommagement en cas de maladie, pas de droit de grève et pas de protection contre le licenciement, pas de syndicat
  • Les T1E ne sont pas considérés comme des chômeurs et ne figurent plus dans les chiffres du chômage (mais sont bien présents dans la base de données de la BA, indemnisés par la BA et continuent à chercher du travail ! n.p.)
*supplémentaire est un travail qui ne serait pas ou pas dans cette ampleur effectuée à ce moment

Les avantages à première vue semblent donc multiples pour le gouvernement en place : création d’un ensemble de travailleurs bon marché sans droits, baisse du chiffre du chômage, récupération partielle du coût du chômage à l’aide du travail effectué par les T1E, espoir d’augmenter ou de rétablir « l’employabilité » des T1E.

Il faut savoir que la population qui est en mesure de « bénéficier » d’un tel travail obligatoire est composée de deux types de chômeurs : les personnes qui sont au chômage depuis longtemps et pour qui le marché du travail est censé être fermé définitivement. Le deuxième type est un chômeur qui n’a que peu ou jamais travaillé. Un des arguments avancés du gouvernement à l’introduction du travail à un euro était de tenter une (ré)ouverture au marché du travail pour cette population. Un autre argument venait tout simplement de la situation sociale tendue. Il fallait donc se montrer actif et capable de gérer, voire améliorer, la situation, tout au moins il fallait consoler les gens qui travaillaient avec des charges de travail de plus en plus importantes, pressurés et angoissés de pouvoir se trouver eux-mêmes bientôt au chômage. Il était donc tentant de remonter les travaillants contre les non travaillants et répandre l’idée que les uns vivaient sur les efforts des autres, ce que le gouvernement a en partie réussi. Cela permet aux uns de décharger leur angoisse en montrant du doigt les autres, puis au gouvernement de faire accepter par une majorité l’introduction du travail obligatoire.

L’intention du gouvernement était enfin de « tester » la motivation du chômeur lors de sa première demande de RMI, tester « s’il voulait vraiment travailler » en lui proposant tout de suite un travail à un euro, si possible un travail désagréable en espérant un effet dissuasif pour ainsi ménager les caisses de l’État. On voit que tous les effets d’un climat social tendu par un marché de travail en crise sont réunis : la suspicion du chômeur paresseux ou profiteur, la volonté d’éloigner le demandeur d’emploi des minima sociaux et l’intention de camoufler les chiffres.

Passons maintenant sur les détails du rapport qui est composé de 69 pages pour venir directement au bilan final. Je traduis :

Les travaux sociaux occasionnels se sont avérés être un instrument important dans des réformes récentes du marché du travail. Tels ou tels demandeurs d’emploi recevant l’ALG2 pouvaient avoir une activité, au moins pour une durée déterminée. Les travaux occasionnels donnent aux chômeurs l’occasion de faire preuve de leurs capacités et de leur disposition à travailler, d’élargir leur savoir-faire et renforcer leurs liens sociaux.

Du point de vue de l’entreprise dans laquelle le T1E travaille, ce type d’activité a été jugé essentiellement positif. La plupart des personnes sont qualifiées pour effectuer les activités qui leur sont demandées dans le cadre du travail social occasionnel. La motivation de travail a été jugée haute pour 28%, satisfaisante pour 56 % et insuffisante pour seulement 11%. Malgré tout, 28% des T1E ne sont pas aptes à entrer sur le marché du travail, du point de vue de l’entreprise. La plus importante cause (74% de ces cas) avancée est une qualification insuffisante, vu la grande part des non qualifiés surtout en Allemagne de l’ouest.
(Suit une liste de recommandations de ce qu’il faudrait faire…)

Le fait que les entreprises jugent la majorité des T1E aptes pour être employés sur le marché du travail ne signifie pas qu’ils le seront (quelle perspicacité !). Il y a intention d’embauche pour seulement 2% des T1E aptes (donc pour moins de 2% de la totalité) et pour 5% des T1E jugés aptes, les entreprises réfléchissent (combien de temps, et quel sera le résulta de leur réflexion ?). Pour tous les autres, la possibilité d’embauche est inexistante (donc « les autres » ce sont 100% – (2% de 74%), donc presque tout le monde…).

Les entreprises avancent le manque de moyens comme raison pour ne pas embaucher les TE1. Un certain nombre d’entre eux envisage de faire travailler une nouvelle fois d’autres T1E car ils ont besoin que les tâches effectuées par les premiers continuent à être exécutées (donc ces chômeurs rendent bien service, quand même, n’est-ce pas?). Si on le demande aux entreprises, le travail social occasionnel n’est pas un tremplin pour être embauché.
(Face à ces chiffres, on ne peut qu’acquiescer.)

[…]
Il y a des entreprises qui utilisent des T1E à des fins non conformes aux règles dictées par le législateur, ou qui sont en concurrence avec d’autres entreprises qui n’emploient pas des T1E. Cela crée donc une concurrence déloyale. (nous y voilà…)

L’emploi de travaux sociaux occasionnels d’une façon non conforme n’est pas en mesure d’être identifié par les services de l’État, car pendant l’activité, il n’y a aucune communication entre la BA, ses conseillers, les entreprises, le T1E, l’autorité responsable et la commune. Sans ces contacts et sans l’action responsable du conseil de la région, ces travaux peuvent devenir un instrument qui nuit plus qu’il n’est utile. Certes, pour une période ces chômeurs sont occupés (et le chiffre du chômage baisse) et les entreprises disposent d’une aide gratuite. Mais une utilisation non conforme des T1E crée du chômage ailleurs et mène ainsi à une perte de cotisations sociales.
[…]

Ensuite, le rapport préconise une surveillance des organismes et des entreprises qui font travailler des T1E pour pallier à la dérive de l’augmentation de chômage et de cette concurrence déloyale, ce qui va charger encore plus le budget de la BA. Mais le coût économique total résultant de cette substitution à de vrais emplois et de cette déformation de la concurrence devrait être plus élevé.

(Je traduis : faire surveiller les entreprises qui ont recours aux T1E permet de gaspiller un peu moins d’argent que celui perdu par les dégâts du chômage produit par l’utilisation des T1E. Mais on gaspille quand même !) Quand à la France, avec le président actuel, la surveillance des entreprises n’est pas à l’ordre du jour…

Voilà ce que dit l’étude effectuée par l’institut de recherche qui dépend de l’ANPE allemande (donc a priori pas complètement indépendante).

En résumé : Le résultat de l’expérience est désastreux !

Et en mots simples, comme l’aiment certains candidats à la présidence :

  • Le travail d’intérêt général obligatoire crée du chômage et une perte de cotisations sociales
  • La plupart des personnes qui effectuent un tel travail sont qualifiées pour le faire
  • La majorité des personnes qui ont fait un tel travail ont été jugées motivées par les entreprises (donc on n’a pas besoin de tester leur motivation, puisqu’on la connaît désormais!)
  • Les entreprises jugent ce type de travail positif (Cela vous étonne ? Ils travaillent gratuitement !)
  • 72% des personnes qui font un tel travail sont jugées aptes à être employées dans une entreprise (donc elles sont déjà aptes !)
  • Les entreprises n’embauchent pas ces « abeilles » qui ont travaillé gratuitement pour eux (à une infime minorité près)
  • Ce type de travail crée une concurrence déloyale et déséquilibre le marché du travail
  • Ce type de travail occupe les chômeurs et renforce les liens sociaux

Est-ce que j’ai besoin d’être occupé par un travail obligatoire pour créer des liens sociaux ? Le travail d’intérêt général obligatoire était jusqu’à présent réservé à des condamnés par la justice. Pourquoi traite-t-on désormais les chômeurs comme des criminels?

Maintenant je laisse la parole à d’autres sources qui sont indépendantes de la BA, l’ANPE allemande :

Pendant l’année 2005, environ 604.000 personnes ont effectué un travail à un euro. Cette mesure a coûté 1,1 milliard d’euros à l’État. (Puisqu’on a constaté que l’obstacle principal pour l’employabilité est la formation, pourquoi n’investit-on pas cet argent dans la formation, au lieu de faire des mesures coercitives, chères et nuisibles à la société ?) L’ANPE allemande a constaté une baisse importante de personnel salarié, surtout dans le secteur des soins aux personnes âgées, des maisons de repos, des lieux d’accueil pour enfants, confirmé par l’IAB.

Dans différents secteurs, des salaires ont baissé suite au recours aux chômeurs. Les travaux à un euro ont accéléré la hausse du chômage. Le président de l’artisanat, Monsieur Otto Kentzler, a critiqué violemment l’augmentation des travaux à 1 euro. Les communes qui jadis faisaient appel aux entreprises d’artisanat et de services utilisent aujourd’hui des chômeurs, à la suite de quoi ces entreprises mettent la clé sous la porte ou licencient.

Le recours aux travaux d’intérêt général dégradent les conditions de travail et de salaire de tous les salariés, ce qui baisse la qualité de travail et augmente la peur de perdre sa place. Les salariés renoncent à un temps de convalescence lors d’une maladie et pèsent ainsi sur le système de santé au long terme.

Des employeurs publics et privés se retirent de leur responsabilité de créer de nouveaux emplois. En mettant l’accent sur les caisses vides, on renforce l’acceptation générale de recourir à l’utilisation des chômeurs pour accomplir les tâches dont la société a besoin.

Fortement critiquable est aussi le fait que des centaines de milliers de personnes soient conduites dans un espace juridiquement flou. Il n’est pas sûr que l’obligation de faire un travail d’intérêt général soit conforme avec la constitution. (Prof. Dr. Günther Stahlmann, travail à 1 euro d’un point de vue juridique).

(1) Source: IAB – rapport de recherche n° 2/2007, 69 pages, fichier .pdf

Voir aussi l’article dans « Die Zeit » : La concurrence à coût zéro.

On a envie de dire : Tout ça pour ça?

4 Responses to “Allemagne: Travaux sociaux d’intérêt général – mise en place et effets sur l’entreprise et le marché du travail – un bilan”

  1. degbe dit :

    je veux aller en Allemagne donc je veux savoir plus amples informations sur les etrangers qui vivent làs-bas et aussi s’il y’a assez de travaux ds le pays pour ne pas aller chomer.

  2. Stephan M. dit :

    Bonjour,
    il est difficile de répondre à votre question avec si peu d’éléments d’informations. Le marché de l’emploi en Allemagne va un peu mieux que les années précédentes. Cela ne signifie pas pour autant que tout le monde y trouve facilement un travail.
    Concernant les étrangers il n’y aurait pas mal de choses à dire, surtout sur les demandeurs d’asile politique.

    Comment l’étranger va vivre en Allemagne dépendra de beaucoup de facteurs. Le plus important est de trouver un travail. Avez-vous une profession? Parlez-vous la langue allemande?

    Pour vous faire une idée s’il y a du travail dans votre secteur d’activité, vous pouvez regarder les annonces sur le site de la Bundesagentur für Arbeit. (Cliquer sur « Jobbörse« )

  3. Stephan M. dit :

    [...]
    Présenter le fait qu’un chômeur doit accepter un travail à 1 € est un détournement des réalités.

    La majorité des gens qui ont repris une activité par le biais de ces jobs à 1 € n’est pas négligeable. A ceux qui avaient retrouvé le rythme du travail et qui se sont engagés dans leur job, il a souvent été proposé un emploi fixe.[...]

    C’est ce que j’ai lu dans une discussion sur mediapart.fr.

    Je n’ai pas envie de payer une inscription juste pour répondre à l’auteur de ces lignes, mais j’ai envie de lui répondre. (Peut-être il retrouvera le chemin vers mon blog). Quand il écrit qu’aux travailleurs à 1 euro a souvent été proposé un emploi fixe, je réponds que ce sont 2 % des employeurs qui ont eu l’intention ferme d’embaucher leur « esclave bon marché ». 2 pour cent seulement, et il est seulement question d’intention d’embaucher, pas d’embauche. C’est ce que l’on peut lire dans le rapport d’évalulation que je cite comme source plus haut: IAB – rapport de recherche n° 2/2007, 69 pages. Donc le succès du retour vers l’emploi normal est quasiment nul, mais coûte un maximum d’argent à l’État et aux contribuables.

    Quant à la remarque « Présenter le fait qu’un chômeur doit accepter un travail à 1 € est un détournement des réalités« , je ne vois pourquoi ce serait un détournement des réalités. Si le chômeur n’accepte pas ce type de travail, on lui coupe tout simplement les vivres. Donc s’il ne veut pas se retrouver dans la rue, il est bien obligé d’accepter ce travail à 1 €.

  4. [...] imposer aux titulaires du RSA un jour de travail obligatoire pour la collectivité  (voir le résultat en Allemagne), rendre obligatoire le vote des salariés aux élections professionnelles pour [...]