(Interview avec Dr. Claudia Weinkopf à propos de la multiplication des bas salaires en Allemagne.)
L’économie est en pleine expansion, le chômage baisse, voilà les messages officiels. Mais des voix critiques signalent depuis longtemps que les nouveaux boulots donnent souvent des salaires de misère. L’Institut pour le Travail et la Qualification de l’Université de Duisbourg a creusé le sujet et fait une étude. Radio F.R.E.I. a parlé avec un des auteurs de l’étude sur les bas salaires en Allemagne, Dr. Claudia Weinkopf, directrice de recherche du département „Flexibilité et Sécurité“.
W : Dr. Claudia Weinkopf
J : Journaliste de Radio F.R.E.I.
J : Je salue Docteur Weinkopf, directrice du département „flexibilité et sécurité » de l’institut „Travail et Qualification“ de l’université Duisbourg. Bon jour.
W : Bon jour.
J : Madame Weinkopf, pendant les derniers mois on s’est beaucoup disputé sur les thèmes de la pauvreté et les bas salaires en Allemagne. Vous avez abordé ces thèmes d’une façon scientifique. Tout d’abord une question: Qu’est-ce qu’un bas salaire en Allemagne ?
W : Pour définir un bas salaire, d’habitude on se base sur un salaire qui se situe en dessous de deux tiers d’un salaire moyen. C’est une valeur qui se réfère à d’autres salaires. Mais dans nos recherches nous avons posé la question combien de personnes gagnent moins que 7,50 euros. La limite d’un bas salaire en Allemagne est plus élevée.
J : 7,50 euros, c’est aussi la revendication des syndicats du DGB (1). D’après vos recherches, c’est exactement dans ce secteur d’activité où l’emploi a augmenté. Comment se développent, d’après vos connaissances, les bas salaires en Allemagne ?
W : Le secteur des bas salaires au-dessous de 7,50 euros a augmenté. Nous y avons compté 4,6 millions employés en 2004 et 5,5 millions en 2006. Cela signifie que la part des employés qui travaillent pour un salaire horaire au-dessous de 7,50 euros a augmenté environ 20% dans l’espace de deux ans.
J : C’est énorme. Quelles personnes sont concernées par cela ?
W : C’est un groupe important avec des caractéristiques différentes. Il est important de noter que les femmes sont la majorité – presque deux tiers des employés avec de tels salaires sont des femmes. Si on regarde cela selon le type de temps de travail, on constate qu’un employé sur dix travaillant à temps plein et cotisant à la sécurité sociale est concerné. Dans les petits emplois (les temps très partiels) la part des personnes qui ont des salaires horaires au-dessous de 7,50 euros s’élève à presque 75 %.
J : Peut-on préciser des branches d’activité ou de secteurs dans lesquels les bas salaires sont particulièrement répandus ?
W : Cela dépend. Si on met l’accent sur le nombre d’employés, de ce point de vue, le commerce de détail est un secteur où les bas salaires sont nombreux, déjà parce que l’emploi dans ce secteur est très développé. Si on se rapporte à la part de ceux qui gagnent si peu dans une branche d’activité, alors c’est la restauration qui est en tête de course : presque un employé sur deux gagne moins que 7,50 euros.
J : Thuringe est considérée comme le land des bas salaires par excellence. Ici, beaucoup ne gagnent même pas 5 euros de l’heure. Pouvez-vous quantifier la différence dans le secteur des bas salaires entre l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest ?
W : La différence est considérable, car il y a toujours des niveaux de salaires différents. D’après nos calculs, en Allemagne de l’Ouest, environ 13% des employés ont des salaires horaires au-dessous de 7,50 euros, tandis qu’en Allemagne de l’Est, ce sont presque 30%.
J : Même si les salaires en Allemagne de l’est sont plus bas – vous venez de le dire : le taux de chômage y est plus élevé – il semble qu’un niveau de salaire bas ne conduit pas automatiquement à une augmentation d’emplois. Comment voyez-vous le rapport entre les niveaux des salaires et le taux de chômage ?
W : Je reprends votre exemple : En Allemagne de l’Est les bas salaires sont plus répandus (qu’en Allemagne de l’Ouest), mais cela n’a pas conduit à un boom de recrutements pendant les dernières années. Après ce constat, on ne peut faire autrement que de dire qu’un lien entre le niveau des salaires et le taux d’emploi est moins étroit comme c’est souvent affirmé(2), ou il n’existe même aucun lien. Il y a beaucoup d’autres éléments qui rentrent en jeu, comme le développement économique, la force d’innovation etc. Il est simpliste de lier les salaires à l’emploi d’une façon univoque.
J : Ces dernières années, les syndicats ont été poussés à n’exiger qu’une faible augmentation des salaires (pour ne pas mettre en danger l’emploi). Votre étude serait-elle un argument pour dire qu’il n’est pas nécessaire de faire des sacrifices salariaux, mais au contraire les salaires devraient être augmentés ?
W : Nous sommes convaincus que des mesures dans le secteur des bas salaires sont nécessaires pour renforcer le pouvoir d’achat des employés. Quand on gagne moins de 7,50 ou même moins de 5 euros on ne peut subvenir seul à ses besoins. De notre point de vue, la politique doit agir en introduisant un salaire minimum légal comme cela existe dans de nombreux pays.
J : Nous avons eu ce débat ces dernières semaines pour la Poste. D’après vous, le salaire minimum qui a été négocié dans ce secteur particulier, serait-il un pas dans la bonne direction pour combattre les bas salaires et les salaires de misère ?
W : Ça a été effectivement une bonne chose, mais je pense qu’on devrait introduire un salaire minimum dans toutes les branches, car si on le fait uniquement branche par branche, il y en aura toujours qui ont un niveau de salaire très bas et qui resteront sur la paille. Dans certaines branches, les salaires réels ont même baissé les dernières années.
J : Quelles mesures recommanderiez-vous à la politique, vous qui êtes scientifique ?
W : Un soutien spécifique pour l’intégration des demandeurs d’emploi, et avant tout, en épaulant la stratégie d’un salaire minimum une politique beaucoup plus forte dans le domaine de la qualification, car nous constatons que les personnes peu qualifiées sont particulièrement frappées par le chômage, et la demande d’employés peu qualifiés est en baisse. Si ces personnes veulent retrouver des possibilités sur le marché du travail, elles doivent se former. On doit s’occuper notablement des jeunes pour que personne n’arrive sur le marché du travail sans diplôme ou sans formation professionnelle, car dans le cas contraire c’est perdu d’avance.
J : Permettez-moi une dernière question. Vous avez mentionné que deux tiers des personnes qui travaillent pour un bas salaires sont des femmes. Avons-nous besoin d’un programme de soutien spécifique pour les femmes pour établir un ressemblant d’égalité ?
W : Je le dirai avec d’autres mots. On doit mettre les projecteurs sur le fait que les femmes gagnent moins que les hommes. Dans d’autres pays, il y a des commissions, des lois pour faire cesser la discrimination des femmes par les salaires. En Allemagne, c’est un sujet qui est traité une fois par an lors de la journée internationale de la femme, et à cette occasion on ne traite pas seulement le „salaire égal pour travail égal » mais on réfléchi aussi sur la valeur sociétale des emplois dits féminins, comme des emplois dans le champ social ou médical où les salaires sont bas, plus bas que dans le bâtiment.
J : Madame Weinkopf, je vous remercie pour cet entretien.
Source: freie-radios.net (podcast mp3)
Licence: Creative commons
Transcription/traduction: Stephan M.
(1) Deutscher Gewerkschaftsbund – c’est la plus grande union de syndicats en Allemagne
(2) Une remarque très modérée, car en Allemagne il y a un vrai matraquage médiatique du « des bas salaires créent des emploi », ou la réciproque : « une hausse des salaires détruit des emploi ».
Remarque: Il est significatif, qu’une chercheuse qui voudrait s’adresser au public pour rendre compte des résultats d’une étude approfondie sur les problèmes sociétaux soit obligée de passer sur une petite radio libre sur internet (avec une audience de quelques centaines d’auditeurs). Les grands médias ne sont pas intéressés à inviter des gens capables de donner des informations fondées et de qualité qui de surcroît pourraient contredire la parole des politiques du gouvernement. S.M.
Bonjour
Tiens, on a les mêmes à la maison, les seuls avis « autorisés », les ministres font preuve d’une ignorance crasse de leurs dossiers, leurs seules compétences étant sans doute leur soumission et leur capacité à se faufiler entre les peaux de bananes ou avoir « une peau d’éléphant ».
En Allemagne (je m’autorise mon avis) quand on est une femme, le salaire est à priori considéré comme un salaire d’appoint, puisqu’une femme sans mari n’est pas « normale » (dans les normes). Pourtant il me semble qu’il y a autant de divorcés que chez nous. Je l’avais remarqué dans la moyenne ville où je vivais (100.000 habitants) plus que dans les grandes.
Je me demande combien de générations seront nécessaires pour faire changer les esprits, même si sur le papier nous sommes égaux.
La leçon à retenir est que même en tirant les salaires vers le bas, l’offre d’emplois n’augmente pas, seuls les dividendes et revenus des employeurs ainsi que la pression sur les employés augmentent !
Rappelez vous <> que nous ont servi Sarkozy et l’UMP : Plus il y a de gens qui travaillent, plus il y a de travail qui se créé, dogme qui est censé remplacé une autre pratique: diminuer le temps de travail permet de partager le temps de travail.
Ce que ne disent pas Sarkozy et ses amis c’est ce que sont les emplois qui seront éventuellement créés (à condition que les classes moyennes aisées voient leur pouvoir d’achat augmenter et non pas diminuer) : du travail partiel subi avec des bas salaires dans des emplois de service à la personne.
<> on a la même chose à la maison.
J’ai l’impression que le pouvoir en Allemagne est plus cynique et ne cherche même pas à dissimuler les choses pour mieux les appliquer.
Dans quelques temps, je suppose que la situation en France sera la même qu’en Allemagne sur ce point.
Ah mince, les citations ne sont pas passées:
Rappelez vous « la théorie du gâteau » que nous ont servi Sarkozy et l’UMP : Plus il y a de gens qui travaillent, plus il y a de travail qui se créé, dogme qui est censé remplacé une autre pratique: diminuer le temps de travail permet de partager le temps de travail.
Ce que ne disent pas Sarkozy et ses amis c’est ce que sont les emplois qui seront éventuellement créés (à condition que les classes moyennes aisées voient leur pouvoir d’achat augmenter et non pas diminuer) : du travail partiel subi avec des bas salaires dans des emplois de service à la personne.
« une hausse des salaires détruit des emploi » on a la même chose à la maison.
J’ai l’impression que le pouvoir en Allemagne est plus cynique et ne cherche même pas à dissimuler les choses pour mieux les appliquer.
Dans quelques temps, je suppose que la situation en France sera la même qu’en Allemagne sur ce point.
Rappelez vous “la théorie du gâteau” que nous ont servi Sarkozy et l’UMP : Plus il y a de gens qui travaillent, plus il y a de travail qui se créé, dogme qui est censé remplacé une autre pratique
Je crois que plus nous sommes autour du gâteau, moins il en reste à partager, ou bien ????
Il a dû confondre avec la multiplication des pains (il y en a qui se perdent !) ou des poissons je ne sais plus bien l’histoire.
Les Allemands que je connais trouvent normal que des boulots pourris comme le « service à la personne » ou autres temps partiels soient proposés… aux autres, pas à leurs propres enfants ou à eux-mêmes.
Mais la résistance s’organise avec des Stephan entre autres.
Le gâteau qui grossit, ça veut dire que si les salaires sont bas, les entreprises sont plus dynamiques, ce qui favorise la croissance économique. Celle-ci est alors censée créer des emplois.
Évidemment, si on travaille pour un salaire pourri, et qu’on fait ainsi grossir un gâteau qui ne fait que créer plus de postes à salaires pourris, tout en remplissant les poches de ceux qui sont en haut de la pyramide, c’est pas la panacée.
Faut pas oublier non plus que si le gâteau gonfle, les parts gonflent encore plus, c’est-à-dire que la productivité augmente sans cesse. Du travail, faut pas rêver, y en aura relativement de moins en moins, sauf miracle.
De toute façon, on voudrait le faire gonfler jusqu’où, le gâteau ? Jusqu’à ce qu’il explose à la tronche de l’environnement ? Il a déjà commencé à péter, en fait, et c’est qu’un début. Merci le gâteau.
De toute façon, cette histoire de gâteau est absurde. S’il se réduit, tant mieux, il suffit de réduire le temps travaillé par chacun, tout le monde est content et on produit la même quantité. Évidemment, on ne voit pas les choses sous cet oeil : faut bosser, faut produire. N’importe quoi, mais produire, toujours plus, au boulot bande de feignants !!
Les bas salaires pour janvier 2008 – 6,5 millions travaillent pour un salaire bas (Allemagne)
(Ulrike Bohnsack, service de presse, Université Duisbourg-Essen)
Le secteur des bas salaires depuis 1995 a augmenté en Allemagne de 43 %. 6,5 millions de personnes, ce sont 22 % de tous les salariés, plus qu’un sur cinq, qui travaillent pour peu d’argent. Ce sont les chiffres actuels de l’Institut Travail et Qualification (Institut Arbeit und Qualification – IAQ) de l’université Duisbourg-Essen, sur la base des données. Les données sont issues du même type d’enquête de 2006, en questionnant 12.000 ménages en Allemagne, que l’IAQ mène chaque année.
D’après les standards internationaux, un bas salaire est un salaire au-dessous de deux tiers du salaire horaire moyen en Allemagne. En 2006 ce seuil était de 9,61 euros à l’Ouest et de 6,81 à l’Est. En moyenne, les salariés des bas salaires travaillant pour 7,12 euros bruts à l’Ouest et pour 5,43 euros bruts à l’Est, leur salaire avait donc encore baissé depuis l’année précédente. Des „minijobs “ (temps très partiel CDD très court etc.) font désormais 54 %, donc plus que la moitié, du secteur des bas salaires. Entre 1995 et 2006, le taux des „minijobs“ a augmenté de 15 à 29,7 pourcent, donc presque doublé.
L’argument que des bas salaires ne sont pas un problème car les employés seraient assurés „ailleurs“, n’est pas valable, critiquent les experts de l’IAQ Claudia Weinkopf et Thorsten Kalina. Aujourd’hui la hiérarchie des salaires dans leur intégralité subit une pression par les „minijobs“, mais aussi par l’intérim et la sous-traitance des emplois – et la politique a encore ouvert les portes pour l’expansion du secteur des bas salaires par une immense dérégulation.
Une étude comparative de l’IAQ avec d’autre pays (Danemark, France, Pays-Bas) montre que l’Allemagne est désormais en tête de course des bas salaires parmi les pays européens continentaux.
De plus il est frappant qu’une grande partie des salariés du secteur des bas salaires ne sont pas peu qualifiés, mais ils peuvent montrer une formation professionnelle et même un diplôme universitaire. Cela démontre que les bas salaires ont touché le cœur de l’emploi.
Source: Informationsdienst Wissenschaft
P.S. Ne fais confiance à personne au-dessous de 7,50 euros!
Ce titre fait allusion à un vieux slogan en Allemagne en 68: « Traue keinem über 30 » (ne fait confiance à personne qui a plus que 30 ans) – slogan d’une jeunesse qui voulait en finir avec tout un paquet de conservatismes, préjugés et de « on-ne-fait-pas-ça ».
Voir aussi le dernier article paru dans le Petit Journal de Berlin sur la situation de l’emploi en Allemagne:
http://www.lepetitjournal.com/berlin.html