Robert von Heusinger pour Frankfurter Rundschau/FR-online.de
(6 juin 2008)
Paris. « Quel est l’élément déterminant du succès des réformes allemandes du marché du travail ?« , c’est ce que Pierre Cahuc voudrait apprendre par ces collègues allemands. Le chercheur renommé au Crest-Insee ne cache pas sa curiosité. Les excédents de l’export sont légendaires, et entre-temps l’Allemagne nous surprend avec une croissance remarquable et bien plus d’emplois. La retenue des salaires, est-elle bien pour l’Allemagne et mauvaise pour la France ? La France doit-elle participer à la course de la baisse des salaires ? Ces questions sont débattues lors d’une conférence à Paris, organisée par la Fondation Friedrich-Ebert et le Cercle des Économistes.
« Hartz IV est le cœur des réformes allemandes« , répond Bert Rürup(1). Ce serait grâce à la réduction de la durée de l’allocation de chômage et à la fusion de l’Alg2 (minimum chômage) avec la « Sozialhilfe » (RMI) que les personnes sans emploi auraient accepté une baisse significative du salaire habituel, dixit le patron des sages de l’économie. Ce qu’il omet de dire sont les méthodes de coercition qui sont appliquées dans le cadre de Hartz IV.
En revanche, il révèle un secret qui est surprenant, au moins pour un Allemand: « Des réformes du marché du travail ne peuvent pas stimuler la croissance. » Elles pourraient augmenter l’emploi, mais pas déclencher une reprise économique, dans le meilleur des cas, elles peuvent la prolonger. Cette révélation est une petite sensation pour tous ceux qui se rappellent encore des théories caduques de l’ère du chancelier Gerhard Schröder.
Même le potentiel de la croissance d’une économie nationale ne peut pas être augmenté par des réformes du marché du travail. Pour cela, il faudrait une meilleure formation de la population ainsi qu’une plus grande réserve de capitaux, dit Rürup. À la fin du débat, la question si les réformes ont rendu la croissance plus intense en emplois, reste en suspens. Pour Rürup, il y a des indices évidents qui montrent cela, comme la baisse du chômage incompressible. Ronald Schettkat de la « bergische Universität » (université du bergisches Land) a trouvé, que c’était la reprise économique précédente qui a produit plus d’emplois. Gustav Horn, Chef du IMK(2), proche du syndicat, croit : « Les effets sur l’emploi sont meilleurs seulement parce que la reprise économique actuelle est plus durable que les autres. »
Il est passionnant quand Patrick Artus, l’économiste populaire de la banque Natixis ainsi que Jürgen Kromphardt, ancien membre du comité d’experts, présentent leurs résultats : comment la retenue salariale a-t-elle réussi à l’économie allemande ? La réponse est accablante : dix années de salaires effectifs qui stagnent, dix années sans augmentation de consommation privée, pendant que la prospérité en France a augmenté. Même en productivité ou en investissements, l’Allemagne ne se fait pas remarquer.
« Le modèle allemand ne mérite pas d’être imité », conseille Artus. Le fait de négliger la demande intérieure a fait perdre le double de la richesse que la réussite de l’export a apportée. » La solution actuelle n’est pas durable, car face à nos excédents issus de l’export sont les excédents de l’import des pays partenaires, qui, avant tout, sont des pays de l’union monétaire, conclut Kromphardt.
Ce constat touche un point sensible des Français qui se demandent depuis un certain temps, si les Allemands n’ont pas été très coopératifs dans leur façon de procéder, en pratiquant une retenue des salaires au détriment des autres membres, et en baissant les cotisations sociales à l’aide d’une augmentation de la T.V.A. Car, dans une union monétaire, c’est le coût du salaire unitaire qui joue le rôle du cours de change.
Jean Pisani-Ferry, directeur du Think Tank Bruegel paneuropéen, trouve « regrettable » que la discussion sur un comportement coopératif et non coopératif ne soit pas menée d’une manière ouverte et au niveau européen. Ce n’est pas qu’il accuse l’Allemagne d’une stratégie non coopérative. Toutes ces réformes ont été justifiées par des nécessités intérieures. Mais le manque de sensibilité pour les dépendances mutuelles dans l’union monétaire serait un problème.
Il n’y a rien à ajouter à cela. Le colloque à Paris montre clairement, que les Français écriront sur leur drapeau le rétablissement de leur capacité concurrentielle face à l’Allemagne, en ce qui concerne les prix. La course à la dévaluation et à la baisse des salaires a commencé.
(1) Rürup (SPD) est un conseiller politique très influent.
(2) Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung (Institut pour Macroéconomie et recherche sur la conjuncture)
Je remercie Robert von Heusinger de m’avoir autorisé la traduction et publication de son article. (Stephan M.)
Pour compléter, lire aussi cet article :
http://jenecomprendsrienaleco.wordpress.com/2007/12/06/modele-allemand-copie-francaise/
Merci beaucoup, Sopie, tu es géniale !!