Andreas Burmann (pour Deutschlandfunk) a compté les chômeurs officiellement planqués.
- Le travailleur à 1€ : 300.000, enlevé des statistiques par décret, sous le gouvernement de Schröder. Justification formelle : Une personne qui travaille plus que 15h par semaine n’est pas au chômage, or un T1€ travaille plus que 15h. Mais c’est par obligation, sans aucun contrat de travail, et c’est un travail « artificiel », juste une mesure d’intégration pour le marché du travail, organisée par la BA (Bundesagentur für Arbeit – agence fédérale du travail).
- Le chômeur en formation : 250.000. Justification : On n’est pas disponible pour le marché de l’emploi quand on est en formation. (Or, on a le droit d’abandonner sa formation sur-le-champ si on a trouvé du travail !)
- Le travailleur indépendant (« Ich-AG » – une EURL « spécial chômeur« ) : 200.000, poussé et subventionné par la BA dans une activité indépendante. Nombre de personnes qui ont « choisi » cette voie font déjà faillite avant d’avoir commencé leur activité.
- Le chômeur qui n’a pas de droit à une allocation de chômage (et qui n’est pas inscrit) : 600.000. Population : Indépendants, femmes de ménage, étudiants, jeunes retraités, chômeurs découragés.
- Le chômeur qui rentre dans la « réglementation 58« , introduite par l’ancien chancelier Kohl. Environs 400.000 chômeurs ont dû déclarer par écrit ne plus être disponible pour le marché du travail. Carotte : allocation de chômage plus avantageuse que Hartz 4. À partir de 2009, cette population de demandeurs d’emploi n’a même plus besoin de signer une déclaration, elle disparaîtra automatiquement par la réglementation 58 « modernisée » des statistiques, si les personnes de 58 ans ou plus n’ont pas retrouvé un travail au bout d’un an. (C’est la retraite imposée, et un retraité pauvre de plus dans quelques années)
L’addition donne un résultat d’un million sept cent cinquante mille personnes sans emploi non comptabilisées. Et ce bidouillage des chiffres n’est pas une invention de la grande coalition, mais une tradition politique.
Le ministre du travail, Olaf Scholz, euphorique par le chiffre de 3,5 millions de demandeurs d’emploi en mars 2008, voit le plein-emploi à portée de main. Il estime atteindre la limite de 3 millions, pour la première fois depuis 17 ans en Allemagne, pour l’automne de cette année. En l’espace de trois ans, le nombre de demandeurs d’emploi a baissé de 1,5 millions, c’est unique dans l’histoire de l’Allemagne. La première fois depuis 30 ans, la tendance d’un chômage de masse croissant s’est inversée. Le ministre voit ce succès évidemment dans les réformes de Hartz, mais Gerhard Bosch, directeur de l’IAQ (Institut für Arbeit und Qualifikation), contredit le ministre. D’après Bosch, ces réformes ont apporté tout au plus 50.000 emplois par an. Un autre institut, l’IZA (Institut für Zukunft und Arbeit – l’institut pour l’avenir et le travail), n’est pas d’accord avec l’analyse de Bosch. Ce seraient par les réformes de Hartz que des gens non qualifiés auraient été « motivés » à chercher un travail. (Peut-être, mais ils font certainement partis des 7 millions travailleurs pauvres, quel succès !) En même temps le plan Hartz fait que les seniors qui ont dépassé l’âge de 55 ans, « ne trouvent plus l’intérêt » de partir en retraite anticipé. (Effectivement, le plan Hartz leur « propose » une telle spirale de paupérisation qu’il vaut mieux accepter n’importe quoi à n’importe quel salaire pour sauvegarder quelques économies prévues pour la retraite ou pour les études des enfants, or la plupart des seniors n’échappent pas à la pauvreté imposée par l’État.)
On peut dire ce que l’on veut sur les réformes de Hartz, le taux de chômage en Allemagne de l’Est est à 14%, plus que le double qu’à l’Ouest. Pourquoi ces merveilleuses réformes auraient fait des miracles à l’Ouest et n’auraient pas été opérationnelles à l’Est ? Les mots de A. Burmann ont une franchise qui fait mal : « C’est un gigantesque mensonge politique qui a suggéré qu’un niveau d’emploi de l’ex-RDA avec des salaires de l’ex-RDA serait possible. Tous les politiques ont su que c’était impossible, et personne n’a eu le courage de le dire. Ils n’ont eu d’autres idées que d’attendre. Ici un placebo, là une petite consolation, et, dans quelques générations, la situation se sera rééquilibrée par elle-même. »
Au ministère du travail, on parie sur la baisse de la natalité et sur l’émigration. Quelle belle « mesure », quelle efficace « réforme » ! Alors personne peut ne peut expliquer le lien entre les réformes de Hartz et la reprise de l’économie qui est en premier lieu une reprise de l’export. Est-ce que les produits allemands se vendent mieux à l’étranger parce que l’on met la pression sur les demandeurs d’emploi ?
Les politiques ne savent pas ce qu’ils veulent. Si par exemple, les seniors doivent travailler jusqu’à 65 ans ou plus (67 ans en 2030) pour avoir une retraite pleine, ils devraient rester sur le marché du travail et bénéficier de toutes les aides et formations comme n’importe quel demandeur d’emploi. Par conséquent, ils devraient aussi figurer dans les chiffres du chômage. Ce n’est pas logique de les camoufler. Si on compte tous ceux que le gouvernement ne compte pas, l’Allemagne aurait environs 5 millions de chômeurs, donc un taux de 13 %. (Or le taux est probablement encore plus élevé car il y a des personnes sans emploi qui ne se trouvent dans aucune des catégories recensées.) Ce chiffre correspondrait plus à la réalité, d’après Bosch, mais tous les autres pays européens auraient alors de meilleurs résultats que l’Allemagne qui n’a pas envie d’être le dernier maillon de la chaîne.
(Je crois que Monsieur Busch se fait des soucis pour rien, car l’Allemagne n’est pas le seul pays qui planque ses chômeurs.)
D’autre part, il y a aujourd’hui 20% d’emplois à plein temps, donc 5,5 millions, en moins qu’il y a eu au début des années 90. Ce nombre de 27 millions d’emplois à plein temps ne sera plus accessible, telle la prévision d’un expert. En revanche, le nombre des travailleurs de bas salaires a augmenté de 15 à 22%. 1,9 million de personnes travaillent pour mois de 5 euros par heure et sont au-dessous du minimum social. 1,2 million doit compléter leur maigre salaire par une allocation de la BA, ils sont donc en quelque sorte des chômeurs tout en travaillant. (Si on les rajoutait, on arriverait à un chiffre de 2.950.000. Pourquoi ne pas les compter puisqu’ils reçoivent la même allocation que les « Hartzis » ?) Malgré cette misère, un salaire minimum légal au niveau national ne sera pas introduit sous le gouvernement actuel.
Source : Deutschlandfunk, 28/05/2008
C’est ça que j’aime bien dans ton blog : cet effet miroir saisissant entre ton pays d’origine et ton pays d’adoption.
La même soupe à la grimace servie avec les mêmes arguments foireux et les mêmes effets en trompe-l’œil.
Il nous faudrait plein d’autres blogs comme le tien, pour le reste de l’Europe, voire, le reste du monde! Une sorte d’Internationale du chômage et de l’exploitation.
Mais je me disais… à quoi ça sert (à un gouvernement) de bidonner comme ça les chiffres du chômage ? Est-ce que les chiffres sont si important pour eux (le gouvernement) ? J’aurais crû que ce qui était important c’est « l’opinion publique » … le plupart des gens s’en foutent des chiffres. Que les chiffres du chômage soit à 50, 25, 10, 5 ou 0% … les gens s’en foutent totalement. Ce qui comptent c’est leur entourage, leur voisinage … s’ils n’ont pas d’emploi, c’est ça qui compte … pas les chiffres. Alors pourquoi cette obsession des gouvernements pour faire baisser (artificiellement) les chiffres du chômage ?
@ travailleur: pour nous faire croire qu’ils servent à quelque chose…
Super article! J’ai lu dans la Décroissance un article qui expliquait qu’en supprimant les effets de statistiques « truquées », le taux de chômage européen (et bien sûr en France) actuel serait plus au moins le double de l’officiel.
Bonsoir,
Les chiffres servent, à mon avis, d’arguments : « Regardez comme moi, ministre machin, politique bidule, j’ai pu faire avancer les choses. Les chiffres le « prouvent » que je suis l’homme ou la femme ou le parti politique de la situation. Vous devez nous réélire ! » Et la vie de nombreux citoyens, chômeurs, salariés, travailleurs pauvres en prend un coup, l’individu gouverné mord la poussière (radiation, travail imposé, salaire de misère…) et est de surcroît prié de croire aux paroles que les dirigeants politiques débitent.
Lu il y quelque temps dans Les Echos du 12/03/08 :
» Trois millions de sans-emploi absents des statistiques du chômage »
Ce chiffre double quasiment les données officielles du chômage, en baisse continue ces derniers mois. Les chômeurs de plus de 58 ans, notamment, ne sont pas comptabilisés.
Plus de 3 millions de personnes en Allemagne sont au chômage et vivent de subsides de l’Etat, sans pour autant figurer dans les statistiques du chômage, selon des chiffres diffusés par le ministère de l’Emploi. Ce chiffre double pratiquement le chiffre officiel du chômage. Il ressort d’une réponse écrite faite par le ministère à une question posée la semaine dernière au Bundestag, chambre basse du Parlement, par l’opposition.
Son explication ? En vertu d’un certain nombre de règles statistiques, comme la non comptabilisation des chômeurs de plus de 58 ans, le chômage effectif est en fait beaucoup plus élevé que les chiffres publiés par l’Agence pour l’emploi.
Le marché de l’emploi s’améliore depuis plusieurs mois outre-Rhin. En 2007, le chômage touchait officiellement 3,78 millions de personnes en Allemagne, soit un taux brut de 9%, contre 10,8% encore l’année précédente.
Au ministère de l’Emploi, on confirme qu’il y a « plus de chômeurs que ne pas figurent dans les statistiques ». Mais on relativise : « Ce n’est pas nouveau, et dans tous les pays il y a des mécanismes de ce genre », a fait valoir un de ses porte-paroles. »
Oui… et c’est vrai que les chiffres peuvent servir d’argument, de moyen de pression, etc. pour des méthodes encore plus dure, encore plus déshumanisante. C’est vrai qu’après ils peuvent dire « vous voyez ça fonctionne, regardez les chiffres ». Mais j’ai du mal à admettre que la majorité des gens puissent être aussi « myope » que ça… faire plus confiance à des « politiques » qu’à des gens proches… Ça me fait mal d’admettre qu’il y ait autant de naïfs…
Qui vous dit qu’il y a « autant de naifs » ?
Il est plus confortable de refouler ces manipulations pou éviter de ressentir la frustration de l’impuissance. Mais …
Mais celà ne signifie pas que la majorité des citoyens gobent ces données sans les remettre en cause. Disons que c’est l’image (encore une énormité) que les médias aimeraient bien nous donner. L’image que nos concitoyens sont tous des imbéciles naifs.
Les humoristes peuvent être perçu comme l’expression d’une parole collective confisquée non ?
Coluche disait déjà bien fort « tous pourris » et les paroles des guignols de l’info représentent sûrement l’avis de pas mal de nos concitoyens.
Disons qu’on accumule progressivement ce genre de mensonges éhontés. On verra ce que nous en ferons collectivement le jour venu du trop plein. Quand le dégout ne nous permettra plus de « faire avec ».
Attention, la vengeance est un plat qui se mange froid… Il est surprenant comment l’amertume peut ressurgir un jour sans prévenir et se projeter subitement dans l’action.
Voilà, j’ai retrouvé l’article dont tu parles, Sophie:
Allemagne : trois millions de sans-emploi absents des statistiques du chômage
Hm, ça n’explique pas la différence énorme de 1.250.000 chômeurs qui manque d’après le comptage de l’article source. En tous cas le chiffre est beaucoup plus élevé que le chiffre officiel, et les 3 millions absents me semblent plus réalistes que les 1,750 millions.
C’est bien formulé, surtout le début.