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Un nouveau projet de loi en Allemagne prévoit la création d’un fichier qui enregistre toute personne et organisation invitant un étranger qui, pour sa visite, a besoin d’un visa et d’une invitation pour l’obtention de son visa. Responsables pour la protection des données, universités et entreprises tirent la sonnette d’alarme. Officiellement, le but de ce fichier serait la lutte contre les abus de visas.

 

Encore un fichier de plus. Je dois penser à la parole du président de la France, qui à sa présentation du nouveau  « fichier dédié aux violences urbaines et au phénomène de bandes » lors du dernier fait divers disait :  « Le chœur des bien-pensants va sans doute se déchaîner au seul mot de fichier, mais cela n’a aucune importance. »[1]

 

Sous-entendu à cette ironie est le mépris de M. Sarkozy des personnes qui osent se soucier de l’inquiétante prolifération des fichiers qui servent à surveiller la population, et de son espoir que ces « bien-pensants » vont un jour ou l’autre jeter l’éponge, car à force de créer fichier sur fichier, la résistance va s’affaiblir. Mais avec les fichiers c’est la même chose qu’avec la démocratie qui n’est jamais acquise pour de bon: c’est un combat permanent. Donc, les « bien-pensants », qu’ils sont en Allemagne, en France ou ailleurs,  ont de beaux jours devant eux pour résister, critiquer et combattre, encore et toujours, et cela a de l’importance.
Explications pour le cas présent :

Le fichier « hospitalité[2] » sera un double fichier.

welcome

TOUTES les procédures d’invitations seront enregistrées dans un fichier A : des informations sur la personne ou l’organisation qui invite et certaines données concernant la procédure de demande de visa y seront stockées. Le fichier B sera un « fichier alarme ». Dans ce fichier se trouveront des personnes qui, dans le passé, se sont faites remarquées par une condamnation ou par un simple soupçon !! d’un abus de visa, d’un délit de drogue, de terrorisme ou de pédophilie. D’après le projet de loi, la transmission des informations du fichier B aux services intéressés se fera automatiquement. Le « fichier alarme » s’activera donc dès que vous invitez un (supposé) dealer de drogue, un terroriste, un pédophile ou un étranger, qui, dans le passé, s’est  procuré fourbement un visa en se laissant inviter par vous qui, inversement, avez fourbement invité cet étranger indésirable pour qu’il puisse venir en Allemagne. Il est de même pour un invité sur lequel pèse seulement un soupçon d’un de ces délits ou crimes.

 

Détail important : le fichier alarme se déclenchera aussi (automatiquement) si vous invitez « trop souvent » !

TROP SOUVENT, C’EST QUOI ?

Définition : « Trop souvent » signifie « plus que quatre fois dans deux ans ».

Si vous faites venir votre ami(e) ou quelqu’un de votre famille pour la cinquième fois en l’espace de deux ans, vous êtes automatiquement suspecte, et l’alarme se déclenche. Attention, vous ex-a-gé-rez, vous fraudez peut-être ! Vous serez considéré comme quelqu’un de « trop hospitalier », « trop accueillant ». La plus grande méfiance est indiquée. Dans ce cas, il est prévu que les consulats et les ambassades examinent la demande de visa avec sévérité. Un refus sera probablement une conséquence fréquente.

C’est ici que la critique d’organisations et de fédérations interculturelles intervient. Elles craignent une discrimination de toute personne qui a des contacts réguliers de par le monde.

L’expert de Pro-Asyl[3] Marei Pelzer s’exprime : « Un fichier qui enregistre essentiellement des personnes qui respectent la loi et qui les stigmatise d’un soupçon d’abus de visa doit être considéré comme démesuré. »

Concernées sont des entreprises, des associations de sports, de musique, des fédérations d’échanges et de jumelages, des organisations culturelles et humanitaires (invitations d’artistes musiciens, danseurs, acteurs, sculpteurs…), des familles immigrées et binationales, liste non exhaustive.

Thilo Weichert, président du Centre de la protection des données (CPD) du land Schleswig-Holstein, commente ce projet de loi : « Ce que l’on nous présente publiquement  comme un fichier d’alarme contre les abus de visa, n’est rien d’autre qu’un recensement gigantesque de toutes les personnes et organisations qui entretiennent un échange direct et personnel avec des gens qui vivent à l’extérieur de l’Europe. Un fichier d’alarme qui s’appellerait légitimement ainsi se restreindrait aux personnes et organisations pour qui  il existe un soupçon concret d’abus de visa. Avec le fichier comme il est prévu, l’Allemagne s’affirme comme un État de contrôle, un État fermé. Ce fichier contrarie et met en danger tous ceux qui s’engagent pour un échange culturel et personnel, en particulier avec des pays en voie de développement. »

D’après Weichert,  ce fichier vise avant tout ceux qui sont ouverts d’esprit et honnêtes. Des trafiquants d’hommes et des terroristes travaillent avec des identités fausses et des prête-noms contre qui ce fichier ne sera pas opérationnel. « Ce projet est une déclaration de méfiance envers tous les gens qui s’engagent internationalement. Il doit être retiré et remplacé par une proposition qui se concentre au problème concret de l’abus de visa. »

Voici les principaux détails du commentaire du CPD sur la loi pour la création d’un fichier visa-invitation-alarme et pour le changement d’autres lois[4], tel le nom de la future loi.

 

Où ?

 

Physiquement, le nouveau fichier se trouvera dans les locaux du Service fédéral d’administration[5] (SFA).

 

Qui ?

 

En dehors des personnes et organisations qui invitent, seront enregistrés des personnes qui ont été condamnées ou soupçonnées !! pour certains délits (infraction contre la loi du séjour, du travail au noir, d’association à une entreprise criminelle ou terroriste, infraction de la loi sur des narcotiques) ainsi que les personnes qui ont donné de fausses informations dans la procédure de demande de visa.

Quoi ?

Seront enregistrés avant tout des données d’identification, de numéro de demande de visa et la référence du SFA. En cas d’alerte, d’autres données seront stockées. (C’est bien flou. On voit qu’il s’agit encore d’un fichier « fourre-tout » dans lequel les services peuvent stocker à peu près tout ce qu’ils veulent, s’ils peuvent donner une justification approximative. « Cette personne est soupçonnée de… cette personne est en contact avec une personne qui est soupçonnée de… etc. S.M.)

Qui peut transmettre ou recevoir des informations ?

Des services pour étrangers, la police fédérale et dans certains cas toutes les polices, les parquets et le service fédéral pour migration et réfugiés (SFMR) peuvent recevoir le contenu du fichier « hospitalité ». Des services secrets, les renseignements généraux et le service de contre-espionnage peuvent également recevoir et transmettre ces informations.

Dans le cadre d’une demande de visa et sur la demande des services compétents, la transmission des données entre services aura lieu.

Qui peut recevoir des « alertes » du fichier alerte ?

  • le ministère des Affaires étrangères
  • les agences à l’étranger
  • les polices
  • les parquets
  • les tribunaux
  • le SFMR
  • certains services sociaux
  • l’agence fédérale du travail
  • administrations pour la lutte contre le travail au noir
  • les services secrets

Des données innocentes d’innocents

 

Il y a des informations sur des personnes qui peuvent être enregistrées sans qu’il y ait le moindre soupçon d’un délit. (Il n’est pas précisé lesquelles.) Ces données peuvent être transmises aux enquêteurs, polices et services secrets, si cela s’avère nécessaire pour écarter ou enquêter sur des crimes graves. La transmission de renseignements sur un grand nombre de personnes est autorisée.

Sera-t-on informé si on est fiché ?

 

La réponse est non. [Citation] : « Il est exclu d’informer les personnes fichées sur leur fichage si cela met en danger l’ordre et la sécurité publique ou si l’intérêt du secret prime sur l’intérêt individuel. » [Fin de citation]. (C’est une façon de dire que l’on ne sera jamais informé de son fichage.  S.M.)

Peut-on sortir de ce fichier ? Et quand ?

 

[Citation] : « Les données des « inviteurs » doivent être supprimées après trois ans, sauf s’il est encore nécessaire de les garder. » [Fin de citation] (Quelle belle formule tautologique !  « Au bout de trois ans,  vous pouvez sortir du fichier sauf si vous devez  y rester . » Merci pour le renseignement.  S.M.)

 

La critique du Centre de la Protection des Données (CPD)

 

La loi dépasse largement le cadre de la lutte contre l’abus de visa. Elle soutient les services de sécurité, des renseignements généraux et d’autres services publics.

D’après nos connaissances, il n’existe à présent aucune étude sur les abus de visa. Une telle intrusion dans le droit de l’autodétermination informationnelle demanderait une justification empirique de sa nécessité et de son effet, et cette justification fait défaut. Le prétexte de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité doit être remis en question, car les grands criminels cachent le plus souvent leur véritable identité.

Enregistrées ne sont non seulement les personnes qui invitent, mais toute personne qui  fait une déclaration qui sera jointe à la procédure de la demande de visa. (Exemples : la déclaration d’assurer financièrement le séjour d’un invité, si celui-ci a peu de moyens ; une déclaration de moralité ; une déclaration d’adresse ; une déclaration de parenté…S.M.) Il s’agit d’un enregistrement de données sans précédent dans le droit administratif, et il est justifié lapidairement en disant que l’abus de visa deviendrait « visible » à l’aide de l’enregistrement de ces informations. Cette justification est insuffisante pour cette attaque au droit à l’autodétermination informationnelle. Il y a de sérieux doutes concernant la nécessité et la proportionnalité du projet de loi.

Les alertes stigmatisent sans discernement des organisations et des personnes qui pratiquent un échange international. Des familles multiculturelles sont particulièrement concernées. L’échange social et culturel avec des proches qui habitent à l’extérieur de l’espace économique européen est surveillé et ainsi découragé. Quand on sait que la participation dans une procédure de demande de visa peut conduire à être fiché par des services de sécurité, cela peut conduire à s’abstenir d’avoir des contacts internationaux en Allemagne.

La Cour constitutionnelle fédérale s’est récemment exprimée à propos de l’enregistrement de données de personnes sur lesquelles ne pèse aucun soupçon. D’après la Cour, il y a des cas dans lesquels un tel enregistrement ne serait pas toujours illégal, mais « il faut des conditions très particulières pour le justifier ». La Cour a considéré que l’enregistrement des personnes dont leur comportement est irréprochable n’est pas justifié, et cet enregistrement est d’autant plus grave quand les personnes n’en ont pas la connaissance. Cela peut conduire à des effets d’intimidation qui entrave la jouissance des droits fondamentaux. … Dans ce sens, l’enregistrement de personnes qui invitent, qui donnent une attestation ou qui s’engagent dans le cadre d’une demande de visa n’est pas justifié.

D’après le projet de loi, une personne qui a demandé l’asile politique et qui s’est vu refuser sa demande sera enregistrée dans le fichier alarme. Mais la demande d’asile politique est protégée par l’article 16a du droit fondamental. Le fait qu’une demande d’asile soit refusée ne constitue en aucun cas un abus de visa. La nouvelle loi permettrait l’enregistrement et la transmission large[6] d’informations sur le demandeur d’asile. Or, le refus d’asile politique ne signifie pas qu’il a eu lieu un abus de visa antérieur à la demande d’asile politique.

Le CPD continue ses réserves en critiquant que le seuil du soupçon dans cette loi est si bas que cela conduira à un recensement démesuré et infondé de données dans le cadre des demandes de visa. De plus, les services secrets ont des pouvoirs de transmettre des signalements sans qu’il y ait un contrôle de ces transmissions.

La transmission de données d’alerte à des services sociaux, à l’agence de travail et aux services de séjour constitue une utilisation des données à des fins qui n’ont plus grand-chose à voir avec la procédure de demande de visa. L’autorisation qu’une administration peut utiliser des données de demande de visa dans d’autres contextes « s’il s’agit de crimes graves ou si c’est nécessaire pour la vie, l’intégrité physique ou la liberté d’une personne » n’explique pas pourquoi un renoncement de l’acquisition des données auprès du Service fédéral d’administration (SFA) est nécessaire, car les données y sont centralisées et accessibles 24h/24. (Apparemment, d’après le projet de loi, on renonce à s’adresser au SFA pour pouvoir contacter de nombreux services administratifs  et obtenir ainsi bien plus d’informations. S.M.)

Le CPD critique également que la suppression des données soit l’exception et leur  maintien la règle (pour faire simple – S.M.). En revanche, la durée du stockage des données de protocoles de 6 mois est trop courte. Ces données permettraient de savoir si des fautes ou des infractions ont été commises du côté des services collectionneurs de données. (Traduction : On stocke n’importe quoi sur n’importe qui pendant très  longtemps, mais on renonce généreusement aux moyens qui permettent de contrôler la légitimité et les abus de ces collections de données. S.M.)

Inversion de la charge de la preuve

 

Le principe dans la loi sur la protection des données prévoit que la preuve que les données enregistrées correspondent à la réalité incombe aux services qui recueillent les données. Dans le projet de loi, ce principe est inversé. (Paragraphe 3). (Si les services enregistrent n’importe quoi sur vous, vous pouvez contester l’exactitude des enregistrements (si vous êtes informés de ces enregistrements…), mais les données contestées seront toujours maintenues et considérées comme vraies. Ce serait à vous de démontrer qu’elles sont fausses. S.M.)

 

Le CPD avance donc tout un catalogue d’arguments fondés contre ce projet de loi[7].

Le journal taz.de nous informe sur les positions des partis politiques : pour la future campagne électorale, le ministère de l’Intérieur et le duo CDU/CSU (l’union chrétienne-démocrate d’Allemagne / l’union chrétienne-sociale en Bavière) attisent les craintes de l’immigration illégale. Ils refusent un compromis du SPD (parti social-démocrate) concernant le fichier alarme. L’action contre les personnes qui invitent « trop souvent » (l’alarme automatique) était d’abord approuvée par le SPD, mais il y a trois semaines la ministre de la Justice Brigitte Zypries (SPD) a fait machine arrière. Le SPD ne voulait pas recevoir une raclée pour un projet qui aurait probablement échoué au Conseil fédéral. (Bel exemple de politique politicienne : le SPD n’est pas contre le fichier alarme, mais recule provisoirement  par peur de perdre la face et des électeurs). C’est grâce aux nombreuses résistances dans les associations, des fédérations et des églises que le SPD a reculé, ce qui ébranle désormais le succès programmé du fichier « hospitalité ».

Ce projet de loi ébranle sérieusement l’image de l’Allemagne quant à son ouverture au monde. Il ne reste qu’à espérer son échec.

Sources:


[1] Marianne2
[2] Le fichier en question ne s’appelle pas « hospitalité », mais « visa-invitation-alerte ». Le nom ironique « hospitalité » résume bien de quoi il s’agit. (S.M.)
[3] Pro-Asyl est une organisation allemande des droits de l’homme, fondée en 1986 dans le but de donner une voix pour les droits des réfugiés en Allemagne
[4] « Gesetz zur Errichtung einer Visa-Einlader- und Warndatei und zur Änderung anderer Gesetze«  (tel est le nom allemand du projet de loi)
[5] Son siège social se trouve à Cologne ; il a plusieurs antennes en Allemagne.
[6] « transmission large » signifie dans ce contexte une transmission à de nombreux services
[7] Fichier visa (Visadatei) est le nom utilisé habituellement

3 Responses to “Allemagne : le fichier « hospitalité »”

  1. AYME dit :

    Il est effarant de constater l »unisson’ de toutes ces mesures ‘sécuritaires’=répressives,dans plusieurs pays d’Europe,merci de nous informer,mais nos réactions devront se coordonner. C’est terrifiant!
    Merci encore!

  2. Stephan M. dit :

    Bonjour,

    je suis de votre avis, il serait temps de se coordonner au niveau européen, et cela sur une meilleure politique sociale et sur des droits fondamentaux des individus – notre droit de préserver un espace privé qui fond comme neige au soleil. Il est décevant de constater à quel point les grands médias se désintéressent de ce type d’informations. Est-ce qu’ils cautionnent cette politique ou la jugent-ils banale, normale ? C’est difficile de se coordonner, mais c’est un premier pas de nous informer mutuellement comment cela se passe chez nos voisins. Merci pour votre intérêt.

  3. Marie-h dit :

    Stephan,
    je vais voter le 7 juin … suis vraiment perdue …