Préface
Si le terrorisme n’existait pas, il faudrait l’inventer. C’est ce que l’on peut penser quand on voit des méthodes d’enquête de la Chambre criminelle fédérale, le « Bundeskriminalamt » (BKA) dans une affaire de détérioration volontaire de véhicules militaires. Depuis la dissolution de la Fraction Armée rouge en 1998, un prétendu successeur de la RAF, le « groupe militant », occupe les services secrets, les RG et le BKA. Dans une enquête de terrorisme, c’est le paragraphe 129 qui garantie aux enquêteurs une plus grande marge de manoeuvre, toutes les barbouzeries possibles et imaginables sont autorisées, et dans le cas d’une arrestation préventive dans ce contexte, les conditions de la détention d’un prévenu sont des plus sévères (isolation totale, accès restreint à un avocat, restriction ou interdiction de visites…). Et si cet arsenal ne suffit pas, les enquêteurs ne reculent pas devant une manipulation de preuves à charge. La publication d’avoir arrêté un terroriste prime sur la vérité.
Le paragraphe 129 est l’arme préférée du gouvernement allemand contre des courants « d’extrême gauche » ou militants, contestataires dans un sens plus large. À chaque pays « ses Julien Coupat ». L’article de Harald Neuber à ce sujet est très instructif.
Je remercie Monsieur Neuber pour l’autorisation de traduire et publier son article sur ce blog (S.M.)
Enquêteurs militants
De Harald Neuber, journaliste chez telepolis – 01/04/2009
Pendant la procédure contre le « groupe militant » en cours, la chambre criminelle fédérale a falsifié des preuves. Maintenant, l’ampleur de la manipulation doit être éclaircie.
Une des plus spectaculaires procédures antiterroristes en Allemagne a eu un changement inattendu : À la fin de la semaine dernière, le dirigeant de l’enquête de la chambre criminelle fédérale a dû avouer devant le premier sénat de la juridiction de Berlin avoir falsifié des preuves contre trois membres supposés du « groupe militant » (gm). Le commissaire principal Olivier Damm avait d’abord nié la manipulation des pièces. Seulement sous une interrogation insistante et répétée de la part de la défense, il a finalement reconnu la falsification. Ce cas actuel ne sème non seulement le doute sur la procédure actuelle ; entre-temps les procédés de la police en général sont remis en question.
Cela fait six mois qu’une procédure contre Axel H., Florian L. et Olivier R. (un prétendu coup contre le « groupe militant ») pour « l’appartenance à un groupe criminel » – le gm – est en cours. Le parquet fédéral reproche aux trois hommes avoir commis le 31 juillet 2007 un incendie criminel sur des véhicules de l’armée de la république fédérale en tant que membres de ce groupement. D’après l’avis du parquet et des services secrets, le « gm » est une organisation qui succède l’ancienne Fraction armée rouge dissoute en 1998. Néanmoins, l’existence du « gm » n’a jamais pu être démontrée directement. Les services d’enquêtes n’ont toujours apporté que des preuves indirectes en attribuant des attaques et des déclarations au « gm ».
Comme dans chaque procédure antiterroriste qui se réfère au paragraphe 129 du Code pénal, l’apport de preuves dans l’actuelle procédure est aussi nébuleux. Les déclarations d’un informateur anonyme du service secret allemand de l’intérieur, de l’Office fédéral pour la protection de la constitution, jouent un rôle central. En outre sont apportés des documents qui auraient été envoyés par le « gm » au magazine du milieu berlinois[1] Interim. Or, une partie de ces textes était – comme cela vient d’être découvert – écrite par les enquêteurs eux-mêmes.
Quelques « dossiers internes » ont donné des éclaircissements
C’est seulement par une erreur de la chambre criminelle fédérale (BKA[2]) que la manipulation des preuves a vu le jour. Sur l’insistance de la défense, le BKA avait mis à disposition des dossiers internes. Dans cette collection de documents se trouvaient des textes du magazine Interim, dans lesquels on se disputait à propos de la militance et le sens et non-sens d’actions militantes. Ces textes devraient démontrer comment le « gm » encourageait des violences et leurs préparations.
Dans un des documents se trouvait une note pour le moins étonnante : Un des textes serait rédigé par le BKA et envoyé au magazine Interim « pour provoquer une réaction du groupe militant et pour indiquer le site internet du BKA (surveillance des sites internet) ».
Des fonctionnaires de polices avaient écrit sous le pseudonyme « les deux du Muppetshow » (citation) :
« Pas un mot sur Indymedia et rien sur Interim (même pas dans la préface). Et où la recherche dans le Nirwana nous crache-t-elle la réalité ? Et la presse bourgeoise se tait dans sa recherche de la vérité. Justement sur la page internet des sbires du BKA (un tabou est brisé) nous devons nous laisser détromper sur l’exactitude du but, combien encore devons-nous tomber bas ? »
(Texte du BKA dans Interim, sous le titre « sur les armes de la critique ou la critique des armes ou Quo Vadis gm ? »)
À la suite de la révélation de cette falsification des preuves, la légitimité de la procédure est remise en cause. Après l’aveu du commissaire principal Oliver Damm sur la tromperie, l’ambiance dans le tribunal avait changé. Au dernier jour de l’audience, le juge Josef Horch, président du tribunal, demanda au barreau fédéral des éclaircissements. Auparavant, le texte eut été lu à haute voix dans la salle d’audience. Après tout, il n’a pas été présent dans le dossier pour renvoyer sur une recherche sur internet, telle la constatation de Horch. Entre-temps, l’initiative de solidarité[3] avait mis l’article en ligne à télécharger (comme document pdf). Le procès devrait continuer le 20 avril.
La procédure – un échec juridique
« Juridiquement parlant la procédure devrait être arrêtée », disait Maître Alexander Hoffmann à Telepolis. « Mais pratiquement nous excluons cette possibilité ». Dans l’histoire de la justice, c’étaient surtout des soi-disant procédures antiterroristes se référant au paragraphe 129 du Code pénal qui étaient la cible de manipulations. L’exemple par excellence serait le procès du meurtre de l’indicateur Ulrich Schmücker en 1974. C’était le procès de la plus longue durée dans l’histoire de la justice allemande : ouvert en 1976 et arrêté en 1991 après 600 jours d’audience et une série de scandales juridiques.
Dans la procédure courante contre les présumés membres du « groupe militant », Hoffmann et les autres avocats de la défense supposent aussi d’autres prises d’influence. Des dossiers du BKA résulteraient que les enquêteurs auraient envoyé au moins un autre texte au magazine « Interim ». La dissimulation de ces falsifications serait en rapport avec le contenu de ce deuxième texte du BKA et avec d’autres éventuels textes produit par ce service, dit Hoffmann : « Ou bien la procédure est pilotée pour d’autres raisons ».
La défense critique aussi la décision du tribunal de n’avoir pas saisi tout de suite le dossier du dirigeant de l’enquête Monsieur Damm. L’homme du BKA avait quitté précipitamment la salle d’audience après sa fausse déclaration sous le prétexte d’un rendez-vous urgent. Dans un premier temps, et malgré la demande des avocats de la défense, les juges avaient refusé la saisie du dossier présent avec l’argument qu’il s’agisse d’un dossier d’une administration de police. En cas de besoin, le dossier serait mis à la disposition du tribunal. « Je suis certain que nous ne verrons plus jamais ce dossier du BKA » dit l’avocat de la défense, Maître Hoffmann. « Tout compte fait, le procès ne pourrait plus être équitable. Par conséquent, le procès doit être abandonné. »
Les méthodes de l’enquête suspendues depuis
Indépendamment de la procédure en cours, la manière d’agir des services de police contre de soi-disant membres d’organisations militantes est dorénavant remise en question. La surveillance systématique du site internet du BKA et l’enregistrement des adresses IP des visiteurs a été jugé étant illégale[4]. C’est un détail non négligeable, car c’est avec les textes « Interim » falsifiés que les enquêteurs du BKA ont voulu confondre les soi-disant membres du groupe incriminé.
À vrai dire, le résultat fut navrant : après la publication du texte démasqué étant une falsification, seulement 417 adresses IP ont été recensées, dont la plupart des internautes correspondants n’ont pas pu être identifiés. Certaines données ont pu être attribuées à des administrations et des médias. 120 données d’utilisateurs, fournies par Telekom, sont sans importance pour la procédure courante.
« Pour moi il est évident que le témoin nommé Damm du BKA a menti au procès » dit Maître Hoffmann. Mais les mensonges n’ont très probablement pas de conséquences pour ce fonctionnaire de police. Sa tentative de manipulation n’est pas considérée comme une fausse déclaration, car il s’est rétracté encore pendant l’audience. « Nous aurions pu le faire condamner », tel l’avocat. Si Damm avait déposé sous sermon, il aurait pu être accusé. « Mais ce n’est pas ce qui nous importe » poursuivit l’avocat. « Nous voulons seulement un procès équitable ».
© Harald Neuber, telepolis
Traduction: Stephan M.
Le site personnel d’Harald Neuber: www.haraldneuber.de
Forum pour une autre Amérique (en allemand et espagnol):
Dans le même contexte (« groupe militant ») s’inscrit l’affaire Adrej H. :
Allemagne : Le « terroriste » allait un peu trop à la bibliothèque…
Ils ne sont pas encore au point, les délateurs s’ils se dégonflent devant la défense, c’est effrayant ! Ils n’ont pas de mémoire ?
La procédure suivante, ce sera d’utiliser les anciens centres de rétention et tortures de la CIA ?