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Depuis que Hartz 4 existe, les témoignages des demandeurs d’Alg2[1] sont effrayants : de nombreuses agences pour l’emploi demandent des relevés de compte bancaire, parfois pour les six derniers mois, alors il n’y avait aucune base juridique qui permettait cela.

Certaines personnes courageuses qui avaient tenté de faire respecter un minimum leur sphère privée avaient refusé de présenter leurs comptes bancaires. La punition venait sans délais : la demande de Hartz 4 était rejetée, et pour ceux qui demandaient la prolongation de leur allocation, c’était soit la suppression pure et simple, soit une baisse de 30% de l’aumône de 347 euros. Faites opposition au traitement que vous inflige votre agent référent : vous avez toujours le temps de crever.

C’est une des raisons pourquoi l’association de défense des chômeurs, Erwerbslosen Forum Deutschland, organise depuis 2007 un jour de paie dans les agences de Cologne.

(Une autre raison est l’éternel retard et l’irrégularité des paiements qui est devenue la normalité.)

D’autres personnes qui avaient osé s’opposer à la fouille bancaire rayaient certaines lignes sur leur relevé de compte. En quoi cela regarde l’agent de l’Anpe qui traite le dossier d’un chômeur ce qu’il a acheté et où, s’il paie une adhésion à une association ou un syndicat, à une église, etc., s’il a fait ou reçu un cadeau. La plupart du temps, le traitement était le même : brimades, baisse des allocations ou refus de prolonger l’allocation Hartz 4 – le chantage vital. Les forums d’entraide sur internet regorgent d’appels au secours, de plaintes et témoignages de traitements humiliants, de brimades.

Intéressant à ce sujet est l’article récent du journal internet Telepolis du 12 septembre 2008, sous le titre : L’allocataire Hartz 4 transparent.

La protection des données était LE sujet à la une des médias depuis les derniers mois, suite aux scandales qui ont éclaté au fur et à mesure : il y a un marché clandestin de données sensibles, surtout entre les centres d’appel commerciaux qui nous pourrissent la vie avec leur spam téléphonique. Cela avait commencé avec une révélation d’un ex-salarié d’un centre d’appel qui avait envoyé un CD-ROM avec 70.000 adresses actuelles, noms, numéros de compte bancaire, à la fédération des associations des consommateurs pour rendre public ce marché mafieux. Des dizaines, voir centaines de milliers de personnes ont vu des sommes d’argent prélevées sur leurs comptes bancaires par des sociétés qu’ils ne connaissaient même pas, pour des soi-disant abonnements de services, journaux, loterie etc. Après la révélation du premier scandale, les 70.000 adresses sont devenues 2 millions.

Telepolis nous informe que plusieurs députés ont interpellé le Parlement fédéral sur des manquements graves et dysfonctionnements concernant la protection des données des bénéficiaires de Hartz 4. (35 questions, entre autres sur les visites de contrôle à la maison des bénéficiaires de Hartz 4 et leur recensement (inexistant), sur le traitement des données des demandeurs d’emploi et leur fondement juridique. Qui fait quoi avec les données, parfois hautement sensibles ?)

Il y a eu une réponse laconique (fichier pdf), sinon pas de réaction significative du Parlement. Les deux députés Jan Korte et Halina Wawzyniak résument le résultat dans une déclaration de presse: dans Hartz 4, la sphère privée et la protection des données n’existe pas. La formulation semble être polémique, mais la réponse même du Parlement montre qu’elle représente bien la réalité. Sur le site internet de l’Agence fédérale pour l’emploi, on peut lire: „Le code social protège d’un recensement abusif des données personnelles. » Très bien, ça nous rassure.

Ce qui se passe sur le terrain est une autre paire de manches. Le secrétaire d’État du ministère du travail « conseille » aux jobcenters d’introduire au moins quelques plantes et des cloisons mobiles pour garantir un minimum de discrétion, quand le demandeur d’emploi doit déballer sa vie devant un conseiller, pendant que son voisin qui fait la queue est obligé d’écouter la conversation. Le conseil est bien gentil, mais puisque le pouvoir du secrétaire d’État ne va pas au-delà du conseil, il est peut-être écouté, mais pas suivi.

Quiconque veut recevoir des prestations Hartz 4 doit signer qu’il autorise les administrations d’accéder à ses comptes bancaires. S’il refuse, pas d’allocation. Ce que sont des droits fondamentaux pour le citoyen « normal  » ne le sont plus pour le demandeur d’emploi. Parmi les juristes, le droit de rayer certains détails dans l’relevé du compte est controversé.

Les visites de contrôle à la maison d’un bénéficiaire de Hartz 4 sont ressenties par les concernés comme une intrusion massive dans la sphère privée. (Cela se comprend – c’en est une.) Le délégué berlinois de la protection des données critique fortement ces intrusions. Il a été rapporté que certaines visites ont été de véritables perquisitions. Le comble est la visite de contrôle de surprise accompagné d’une équipe de télévision. D’autres abus critiqués par le délégué de la protection des données existent en ce qui concerne l’organisme de redevance radio-télévision.

Le parti Die Linke critique, que Les Verts exigent en effet que le droit à la protection des données soit inclus dans la Constitution, mais qu’ils « oublient » les bénéficiaires de Hartz 4.

Une semaine après l’article de Telepolis, la nouvelle tombe : le tribunal social tranche sur la question quant au libre accès aux comptes bancaires : les « Hartzis » doivent désormais, par décision de justice, montrer leurs relevés de compte bancaires si l’agence de travail les leur demande. Elle l’a toujours fait, mais le non-respect de la protection des données est désormais protégé par la justice. Un chômeur n’est pas un citoyen comme les autres, c’est ce qu’ont dit les juges avec leur décision. « Raisonnable » serait, d’après les juges, la présentation de relevés bancaires pour les trois derniers mois. La justice a fourni, avec un peu de retard, une bonne conscience rétroactive à toutes les agences de travail, jobcenters et Arge (fusion Anpe/service social). La seule restriction dans la fouille sociale est l’autorisation de rayer les virements qui permettent de reconnaître « des préférences philosophiques, sexuelles, politiques et ethniques. » (Cela vous rappelle quelque chose ?) Comme exemples sont avancées des cotisations d’adhésion à un parti politique ou à un syndicat. Mais c’est seulement le texte qui peut être rayé, pas le montant de la somme.

Le communiqué de presse du « Erwerbslosen Forum Deutschland » parle d’un soupçon généralisé du bénéficiaire de Hartz 4 par le tribunal social. « Le tribunal social a certifié qu’un bénéficiaire de Hartz 4 est par définition un fraudeur. Les hauts juges semblent ignorer l’humiliation qu’est le rituel semestriel de la présentation des relevés du compte bancaire. Leur décision est incompréhensible, vu que la fraude constatée est infinitésimale. Les pauvres qui doivent vivre de prestations sociales ne jouissent plus que d’une protection de données minimale. »

Je viens de télécharger les formulaires qu’un demandeur de Hartz 4 doit remplir. Il y a un formulaire qui m’a particulièrement choqué – c’est le formulaire des renseignements de revenus et de ressources. Si le demandeur de Hartz 4 vit dans un foyer de plusieurs personnes, que ce soit avec des membres de sa famille, avec le conjoint ou avec des personnes qui se partagent seulement un appartement, tous les membres du foyer doivent renseigner, s’ils ont, pendant les dix dernières années, transmis ou fait don d’une somme d’argent à une autre personne, ou en Allemagne ou à l’étranger, et si oui, de quel montant. Serait-ce une façon détournée de demander les relevés de tous les comptes bancaires de toutes les personnes du foyer pour les dix dernières années ? Et pourquoi pas pour la vie entière tant qu’on y est?

Il ne suffit pas de rendre le chômeur pauvre, il ne suffit pas de le maintenir dans la pauvreté. Il faut qu’il soit contrôlé et surveillé, car un pauvre est susceptible de déranger un jour l’ordre public.

Stephan M.

Sources :Spiegel OnlineTelepolisErwerbslosen Forum Deutschland


[1] allocation de chômage, comparable à l’Ass en France, d’un montant de 347 euro pour une personne seule

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